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Le chemin spirituel de Jean Gilles

Par ce troisième opus, le chef Montalbanais achève un triptyque entamé en 2008 consacré à la musique religieuse de avec son orchestre et le chœur Les Éléments.

Il se fait le champion de la redécouverte de ce maître trop tôt disparu à tel point qu'un confrère a pu écrire : « Gilles est grand, Andrieu est son prophète ! »… Après un Requiem de référence, puis de prenantes Lamentations de Jérémie, agrémentées de motets de circonstance, voici une Messe en ré de jeunesse, vraisemblablement composée à Aix-en-Provence et le solennel Te Deum de 1698 pour la paix de Ryswick, qui mettait un terme à la guerre de la Ligue d'Augsbourg.

On ne connaît qu'une copie du Te Deum conservée à la Bibliothèque Méjanes d'Aix-en-Provence, alors qu'il fut composé pour la cathédrale Saint-Étienne de Toulouse où Gilles était maître de chapelle jusqu'à sa disparition prématurée à l'âge de 37 ans en 1705. Cette partition de circonstance, sans tambours, ni trompettes, s'éloigne de la pompe lullyste en une joyeuse solennité qui se rapprocherait de l'intimité d'un Charpentier.

L'interprétation raffinée de JM Andrieu allie la couleur des timbres à un équilibre lumineux entre les voix où dominent des rythmes dansants. Avec des sonorités soyeuses et rondes, l'orchestre est appuyé par un opulent continuo où l'on trouve un rare serpent. Les dialogues entre solistes, dessus et basses présentent sobriété et douceur avec une étonnante combinaison de trio de basses.

Mais le joyau de cet enregistrement est  sans conteste cette Messe en ré inédite que l'on suppose de la jeunesse aixoise du compositeur, pour laquelle le chef a d'ailleurs restitué les parties instrumentales intermédiaires de hautes-contre et tailles de violon, ainsi que l'harmonie et la conduite des voix. On se demande pourquoi une œuvre aussi originale, fine, expressive, presque sensuelle dans l'écriture a pu dormir aussi longtemps à la Bibliothèque Nationale, d'autant plus que les messes « avec symphonie » étaient peu courantes à l'époque, puisque le roi Louis XIV leur préférait la forme du grand motet. Modeste et hors des modes du temps, Gilles s'écarte de la pompe versaillaise et des grandes arias solistes pour suivre un chemin plus spirituel dont il partage la ferveur. Chaque moment liturgique est traité de façon propre avec de multiples changements de climat en priviliégiant les dialogues entre plusieurs chanteurs. Option périlleuse mais très musicale, qui nécessite une grande homogénéité entre les solistes et le quatuor mené par , haute-contre solaire, se montre à la hauteur de l'enjeu. On apprécie le sens du phrasé de la taille , ainsi que l'art déclamatoire de la basse . Quant au timbre chaleureux de la soprano , il se marie admirablement à celui du haute-contre, en des duos célestes. Notons que la prononciation restitituée du latin à la française participe à l'harmonie naturelle de cette musique enthousiasmante.

Il règne une légèreté méridionale dans l'ensemble et l'on se plaît à trouver quelques esquisses du Requiem postérieur d'une décennie, ainsi que des parentés avec l'intimité d'un Charpentier. Mais la ferveur confiante de l'émouvant dialogue entre les solistes et le chœur dans l'Agnus Dei annonce l'immense tendresse des futures œuvres religieuses de Joseph Haydn.

Les moments de grâce sont nombreux avec des parties solistes harmonieuses, de beaux échanges avec le chœur à son meilleur et un orchestre mené de main de maître.

Cette résurrection rend une justice méritée à la musique de Gilles si longtemps occultée par les fastes parisiens. On peut espérer que cette superbe messe ainsi exhumée connaîtra un succès commercial équivalent à la tout aussi juvénile Messe solennelle de Berlioz que John Eliot Gardiner nous avait restitué, il y a bientôt vingt ans.

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