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Constantin Silvestri, finalement, mais partiel

Ce superbe coffret EMI de la série Icon, consacré à l'un des plus grands chefs du XXe siècle, est à la fois une bénédiction et une déception.

D'abord, pour en être quitte, la déception : le visuel de l'album affiche fièrement, mais en caractères presque illisibles, « Complete EMI Recordings ». C'est faux et abusif, car il n'en est rien : toutes les gravures concertantes EMI avec solistes sont hélas omises ! Nous sommes ainsi cruellement privés des Concertos pour piano de Liszt (n°1 et n°2) avec Samson François ; des Concertos pour piano de Tchaïkovski (n°1) et Rachmaninov (n°2) avec Aldo Ciccolini ; du Concerto en la mineur de Schumann et des Variations Symphoniques de Franck avec Moura Lympany ; des Concertos pour violon avec Yehudi Menuhin (Beethoven), (Beethoven, Mozart, Mendelssohn, Tchaïkovski) et Christian Ferras (Mendelssohn, Tchaïkovski)… Ce coffret qui totalise 15 CDs aurait pu être ainsi vraiment complet avec un maximum de 20 CDs.

L'occasion est donc vraiment ratée, et c'est d'autant plus déplorable qu'un réel effort a été accompli dans l'édition de l'ensemble : le Divertimento pour cordes de et la Symphonie « Mathis der Maler » de apparaissent pour la première fois en stéréo, tandis que l'ouverture Der Freischütz de voit ici sa toute première publication.

Ceci dit, que de richesses et de pures merveilles d'interprétation orchestrale sont rassemblées ici ! À commencer par les trois dernières symphonies de Tchaïkovski, et surtout une Symphonie Manfred vraiment époustouflante, à placer d'emblée en tête de liste. Si l'on ne peut évidemment se passer des gravures d'Evgueni Mravinski de la trilogie finale, Silvestri a la tendresse en plus, et sa vision alternative avec le Philharmonia ne pâlissant guère en comparaison, est des plus passionnantes et personnelles : il suffit d'écouter la façon unique et a priori surprenante, car inhabituelle, de scander l'exorde initial de la Symphonie n°4 en fa mineur pour être ensuite en profonde empathie envers le grand chef roumain et sa rare exigence artistique alliée à une imagination constamment en éveil. Et surtout, Silvestri prend son temps pour rendre justice au lyrisme tchaïkovskien en des tempos souvent plus modérés que de coutume, de subtils rubatos ne forçant pas le trait, notamment dans la Symphonie n°6 en si mineur « Pathétique », lui conférant ainsi un niveau de dignité que bien peu de chefs parviennent à atteindre.

Un des chevaux de bataille de Silvestri était la Symphonie n°9 en mi mineur op. 95 « du Nouveau Monde » de Dvořák : il la grava deux fois de façon éblouissante à deux années d'intervalle (en juillet 1957, mono, et octobre 1959, stéréo), toutes deux avec l', certainement parce qu'elle lui tenait à cœur, mais aussi très probablement la seconde fois pour les besoins de la stéréophonie naissante, et pour corriger une erreur de montage d'origine (laissée telle quelle ici) qui ampute le mouvement lent Largo de la mesure 40 aux clarinettes et bassons. La seconde version bénéficie en outre d'une maîtrise absolue portée à l'incandescence.

D'origine roumaine, Silvestri a honoré les musiques de toutes nations, et notamment anglaise, ce qui allait de soi par son attachement final à l'Orchestre Symphonique de Bournemouth dont il fit une phalange de renommée mondiale : les deux œuvres d'Elgar et de Vaughan Williams en témoignent de manière éloquente, respectivement l'ouverture In the South qui a rarement connu une telle ampleur, et la merveilleuse Fantaisie sur un Thème de Thomas Tallis qui trouve ici une vision d'une densité extatique absolument bouleversante.

On va d'émerveillement en émerveillement tout au long de ces interprétations satisfaisant constamment le cœur et l'esprit, et témoignant de la personnalité originale et impérieuse de qui ne craint pas de remettre en question certaines traditions tout en étant d'une scrupuleuse fidélité au texte. Chacune des auditions des œuvres de ce programme très éclectique procurera à l'auditeur des découvertes et des joies sans cesse renouvelées : du tout grand art de la part d'un immense musicien à ne pas oublier, et dont cette édition, même incomplète, n'est que justice.

Et à propos de justice, un dernier mot tout spécialement à l'éditeur : à quand les coffrets EMI Icon André Cluytens, André Vandernoot, Paul Kletzki, Adolf Busch ?…

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