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Ravel, Sibelius, Brahms : un rapprochement hasardeux

On aurait tort de penser qu'un concert n'est jamais trop long. Même s'il dure moins d'une heure, s'il amène à se côtoyer des œuvres trop différentes, dont la diversité exaspère l'oreille du public, et exige une souplesse musicologique que de simples mélomanes n'ont pas, il paraît interminable. Le concert de l', c'est un fait, durait deux heures quarante (entracte compris) ; pourtant la lassitude provenait surtout de l'incohérence des styles, du passage arbitraire d'une esthétique à l'autre, qui infligeait aux auditeurs des tribulations dont l'intérêt demeurait mystérieux. Peut-on imaginer trois compositeurs plus dissemblables, un triangle plus parfaitement équilatéral, que Brahms, Sibelius et Ravel ? Dans quel but les convier ensemble ?

Cet exercice d'équilibrisme semble délicat pour les musiciens eux-mêmes : ils n'ont pas réussi à habiter leur Ravel. Dans les Valses nobles et sentimentales, l'écriture minutieuse de l'orchestre et les rythmes mordants demandent d'emblée une concentration extrême, mais les cordes jouent sans énergie et sans franche coordination. Curieuse idée, notons-le, que de faire des pauses entre chacune des sept valses, permettant à la tension de retomber et au public de tousser, quand toute l'œuvre est écrite d'un seul tenant, et couronnée par la valse épilogue – redite fantomatique des précédentes. L'ensemble en devient insipide : adieu la danse, le rêve, la féerie.

Il en va tout autrement du Concerto pour violon de Sibelius, qui a produit sur le public une forte impression. Stimulé sans doute par la personnalité de , l'orchestre trouve immédiatement le ton juste, au début du premier mouvement, dans ses répliques furieuses. Cette bonne entente garantit d'emblée au soliste la liberté dont il a besoin : tout au long des trois mouvements, il excelle à exprimer les émotions que les couleurs sombres de ce concerto lui suggèrent ; il énumère les nuances du désespoir, de la résignation à la révolte. L'interprétation est touchante en ce qu'elle ne recherche pas une beauté plastique du son : Kavakos sait se faire grinçant, menaçant, ou encore, se camoufler dans la masse orchestrale. La dramaturgie reste première, pour un résultat poignant.

La Troisième symphonie de Brahms, vaste et exigeante, est également une réussite. se risque au choix d'un tempo allant dans le premier mouvement, mais ses troupes le suivent avec vigueur. Malgré quelques flottements, et des accelerando parfois aventureux, la densité des textures et la qualité des alliages de timbres, qui témoignent de la maîtrise orchestrale de Brahms, sont très bien rendues, et font de cette œuvre le deuxième point culminant de la soirée.

Celle-ci s'achève, après un bis qui semblait inévitable malgré l'heure tardive : la Valse Triste, à laquelle le nom de Sibelius se voit si souvent réduire. Le public, s'il s'est remis de ce copieux concert, a eu la preuve que le catalogue du compositeur finlandais recèle bien d'autres trésors.

Crédit photographique : © Yannis Bournias

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