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Un Grand Macabre orgiaque à Berlin

L'opéra contemporain, dit-on, est promis après l'excitation de la première à un oubli irréparable, tant il serait loin des préoccupations du public.

De Peter Eötvös à Thomas Adès en passant par Wolfgang Rihm ou Salvatore Sciarrino, les exemples qui démontrent l'absurdité de cette idée reçue ne manquent pas, mais l'unique opéra de Ligeti va encore bien au-delà. La Komische Oper de Berlin avait monté l'opéra en 2003, quelques années à peine après la nouvelle version – plus courte, plus claire – que Ligeti en avait réalisé pour la production salzbourgeoise de Peter Sellars, que les Parisiens avaient pu voir au Châtelet.

C'est à que le directeur de la Komische Oper de l'époque, Andreas Homoki, avait confié la création berlinoise du Grand Macabre ; dix ans plus tard, devenu lui-même directeur, Kosky s'offre le luxe d'une reprise de cette production. Tandis que Sellars, au grand déplaisir du compositeur, avait pris au sérieux l'ampleur métaphysique de la pièce, Kosky prend l'opéra pour ce qu'il est, une farce noire où rien ne peut être pris au sérieux, mais où pourtant on ne rit que par moments, tant le bizarre finit par troubler. Le spectacle, qui a ses moments de magie scénique, est remarquablement structuré, à la fois varié et construit, et il peut s'appuyer sur une troupe qui aime le théâtre autant que le chant, dont le meneur incontesté est le vétéran , parfait clown qui n'oublie pas d'impressionner par l'aisance et la pertinence de son timbre et de sa projection, dans un rôle qu'il a beaucoup chanté ces dernières années.

Sa composition répond ainsi parfaitement au Nekrotzar parfait de , qui n'oublie pas d'être inquiétant derrière le nécessaire ridicule de ce prince du mal si facilement berné. peine un peu plus à animer son personnage, que Ligeti n'a pas vraiment gâté : sans doute une voix moins angélique permettrait-elle de rendre ses répliques plus intéressantes. Autour de ces trois personnages principaux, il est difficile de distinguer des personnalités tant la distribution est homogène ; mérite peut-être plus que tout autre d'être ici mentionné, tant il réalise la fusion idéale entre chant et travail scénique.

Le Grand Macabre est peut-être l'opéra clef du XXe siècle finissant et de l'épuisement de la quête du sens ; ce spectacle, qui mérite amplement de nouvelles reprises, en est sans doute l'une des meilleures incarnations possibles, et l'implication de l'orchestre de l'Opéra-Comique, sous la direction d'un des meilleurs jeunes spécialistes de ce répertoire, confirme bien la vitalité et la pertinence d'un opéra pour aujourd'hui.

Crédit photographique : © Monika Ritterhaus

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