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Nancy offre au Nain de Zemlinsky une production idéale

n'est pas un inconnu à Nancy. C'est cette fois le second de ses trois chefs d'œuvre opératiques, Le Nain, qui bénéficie d'une nouvelle production.

Dès 2006, tout récemment auréolés du label national, l'Opéra de Lorraine et son directeur Laurent Spielmann avaient même initié une manière de cycle en présentant successivement et avec brio Le Roi Candaule et Une Tragédie Florentine.

Inspiré comme Une Tragédie Florentine par Oscar Wilde, cet opéra dense et resserré en un acte raconte la tragédie d'un nain inconscient de sa difformité et offert en cadeau à l'Infante d'Espagne pour son dix-huitième anniversaire. Se prenant pour un chevalier troubadour, le nain va tomber sous le charme de l'Infante qui, avec inconséquence et un brin de cruauté, va d'abord s'en amuser et encourager cet amour. Puis, rapidement lassée, elle finira par lui révéler sa monstruosité par le truchement d'un miroir, entraînant son désespoir. Ces thèmes de la laideur et de l'amour bafoué ne pouvaient que provoquer de fortes résonances autobiographiques chez Zemlinsky, lui-même peu gâté par la Nature ; la future Alma Mahler, dont il était éperdument épris, s'en moquait elle aussi ouvertement.

Dans sa mise en scène d'une lisibilité exemplaire, oppose le monde immaculé, net et un tantinet aseptisé de l'Infante (de hauts murs moulurés blancs « à la Carsen » et où un tableau ouvre par transparence l'espace sur un jardin digne de Fragonard) à l'univers du chevalier nain, dont la petite taille est traduite scéniquement avec un parfait réalisme, vêtu comme un Grand d'Espagne et ridicule d'emblée par son anachronisme et sa fatuité. L'utilisation optimale du décor de Raimund Bauer, notamment par l'alternance entre intérieur et extérieur, les variations subtiles des lumières de Gérard Cleven, la parfaite direction d'acteurs qui différencie et crédibilise les comportements de chacun, vont animer avec efficacité ce long acte qui constitue l'opéra.

Dans le rôle-titre, impressionne par sa résistance physique (il passe toute la représentation à se déplacer à genoux) et vocale. Seul l'aigu final semble susceptible de mettre en difficulté cette voix d'airain à la puissance respectable. L'acteur est confondant de justesse, aussi involontairement comique dans sa vanité initiale que déchirant dans la prise de conscience de la réalité de son état. Devenant peu à peu une spécialiste de ce répertoire post-romantique allemand et autrichien (puisqu'on l'a notamment déjà appréciée dans La Ville Morte à Nancy ou Le Son Lointain à Strasbourg), incarne avec une véracité de chaque instant une Infante encore post-adolescente par ses caprices et ses mimiques boudeuses mais parfaitement consciente déjà de son pouvoir de séduction. Vocalement, ni les aigus tendus du rôle ni la densité du tissu orchestral à passer ne lui posent le moindre problème. Dans cette société assez impitoyable, Ghita est la seule capable d'un peu de compassion ; y fait merveille de son timbre chaud et enveloppant. Quant à , il se révèle un parfait Majordome, sec et cassant.

Contributeur essentiel au succès de la soirée, l' étonne à nouveau par sa versatilité et révèle idéalement toute la touffeur et la sensualité de la partition de Zemlinsky. le dirige d'une main ferme mais jamais brutale, assurant une plénitude sonore qui ne couvre jamais les voix.

Etait-ce la foule qui encombrait les rues en ce soir de Fête de la Musique qui avait retenu certains spectateurs ? La salle n'était hélas pas pleine pour cette première mais a pourtant accueilli triomphalement tous les protagonistes à l'issue du spectacle. Il serait dommage de rater ce trop rare Nain de Zemlinsky, surtout avec une production si réussie et qui honore le label national de l'Opéra de Lorraine.

Crédit photographique : © Opéra national de Lorraine

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