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Montpellier : Mass de Bernstein soulève l’enthousiasme du public

202 artistes sur le plateau du Corum pour une soirée très festive, tout en swing et en couleurs: voilà une ouverture de festival qui restera dans les mémoires des Montpellierains venus fort nombreux pour découvrir une oeuvre assez rarement programmée qui s'inscrivait dans la thématique « Musique et Pouvoir » déclinée tout au long de cette édition 2013 du Festival de Radio France et Languedoc-Roussillon.

Eclectique autant que rassembleuse, Mass de n'a certainement pas le génie de West Side Story ni la finition de Candide mais une capacité certaine à fédérer les esprits et à soulever l'enthousiasme des foules comme savent le faire, mieux que nul autre, les compositeurs américains. L'oeuvre sous-titrée « composition dramatique pour chanteurs, instrumentistes et danseurs » peut se situer à mi-distance de l'opéra/oratorio et de la comédie musicale; mais elle est aussi célébration, respectant, du point de vue formel, les différentes parties de l'Ordinaire de la messe que Bernstein, aidé par son collaborateur providentiel Stephen Schwartz, augmente de « tropes »; ce sont des ajouts au texte liturgique, qui étaient pratiqués au Moyen-âge, et qui viennent ici mettre en résonance, commenter et questionner la parole religieuse, dans un ensemble polysémique et multilingue en latin, anglais et hébreu. Le texte s'achève sur le grand solo dramatique du Célébrant, « Les choses se cassent », longue diatribe pleine de sous-entendus qui laisse apprécier la teneur politique et contestataire du propos et l'efficacité littéraire du texte.

Créée le 8 juin 1971, pour l'ouverture du Kennedy Center de Washington, l'oeuvre est commandée à Bernstein par Jacqueline Kennedy dès 1966 et débutée en 1969, soit deux ans après la création de Messe pour le temps présent à Avignon de Pierre Henry/Maurice Béjart, dont le fameux Jerk-électronique a peut-être donné des idées au compositeur américain. Si Bernstein a recours à la bande magnétique quatre pistes pour Mass, on ne peut pas véritablement parler d'oeuvre mixte, les interventions, au demeurant limitées, des parties enregistrées sont celles du grand choeur – certes amplifié et spatialisé – mais sans travail spécifique de studio. On peut du moins regretter une projection qui était loin d'être optimale dans la salle du Corum, en terme de quadriphonie s'entend.

Le melting pot stylistique que Bersnstein appelle de ses voeux, persuadé, dans cette époque trouble des années 70, qu'il faut aller vers « le nouveau son » pop et rock et « la vitalité sans complexe » qui leur appartient, s'incarne d'abord dans la diversité du dispositif vocal et instrumental déployé sur scène: un choeur mixte – valeureux Choeur de la Radio Lettone – dont l'écriture rappelle plus d'une fois la scansion rythmique de Stravinsky, auteur lui aussi d'une Messe dans les années 50; il y a aussi un choeur d'enfant, celui d'Opéra junior de Montpellier dont se détache, à deux reprises, un très jeune soliste – Josué Toubin-Pierre – à la voix aussi frêle qu'attachante. S'y ajoute un « choeur de rue » tout en couleurs (costumes et voix) incluant quatre solistes, chanteurs rock très pêchus – le jeune – censés engendrer un certain mouvement scénique à la faveur de quelques gestes chorégraphiques un rien sommaires dans un espace, il est vrai, beaucoup trop réduit à cet effet.

Côté instrumental, le descriptif original prévoit 46 membres en fosse et un groupe de bois, une basse électrique, deux orgues (symphonique et synthétique) ainsi qu'une batterie jazz sur la scène. Tous étaient réunis ce soir sur le plateau et si on ne peut parler d'écriture orchestrale proprement dite, l'intérêt réside ici dans la circulation des énergies d'un groupe à l'autre – à grands renforts d'effets lumière – et les contrastes et relances rythmiques fort bien ménagés ce soir pour mobiliser l'oeil et l'oreille du public. Bernstein sollicite l'orchestre symphonique – Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon musclé et réactif -, à travers une écriture plutôt compacte, réservant cependant à la flûte solo – irréprochable Michel Raynier – des instants dramatiques très spécifiques, au début et à la fin de la partition.

Si , à la tête de cette grosse machine à multi-fonctions, s'efforce de galvaniser les forces en présence, le héros de la soirée est bien The Célébrant super-star, le rayonnant et lumineux à qui l'on doit les épisodes les plus intenses de Mass. Magnétique homme de scène et familier de l'oeuvre de Bernstein, il va exploiter sa voix dans tous les registres et les qualités de son timbre, du chant chaleureux du Gospel au son plus persiffleur et presque « blanc » de son dernier solo, laissant le public du Corum en haleine près de dix minutes durant, avant le triomphe réservé à cet interprète hors norme et la standing ovation pour tous les protagonistes d'une soirée vraiment pas comme les autres.

Crédits photographiques : Opéra Berlioz / Le Corum – Mass de 11/07 © Marc Ginot

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