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Verdi et Wagner à la fête à Verbier

Grandiose plateau pour ce concert hommage au 200e anniversaire de la naissance de et de .

Du bord au fond de la scène, le au grand complet et la Collegiate Chorale ne laissent qu'un mince filet d'espace sur le devant de scène pour les solistes qui vont s'y produire.

Dès les premiers accords d'Otello, déclenche l'orage et la tempête avec un orchestre brillant et magnifiquement préparé pour cette partition exigeante. Tout au plus si on remarque une italianité timide dans l'expression musicale du chef russe, italianité qui, en dépit du sujet shakespearien, marque l'œuvre de Verdi. Ce manque d'italianité se confirme à l'écoute du ténor Aleksandrs Antonenko (Otello) dont la voix puissante typique de l'école de chant russe avec une tendance à s'exprimer en arrière des résonateurs en opposition à l'école italienne qui projette la voix vers l'avant. Hormis un Esultate ! initial lancé avec autorité, les manifestes influences de Placido Domingo ne lui ont pas encore permis d'assimiler totalement la vocalité d'un rôle extrêmement difficile alternant forte et piannissini où la clarté du timbre prime. Identique réserve pour baryton (Iago) dont l'expression vocale trop léchée peine à exprimer la vilenie du traître  de cette intrigue.

Du trio des principaux personnages, (Desdemona) se détache irrésistiblement avec son insolente facilité vocale. Attaquant indifféremment des aigus triomphants ou câlins, des graves somptueux et sonores avec une désarmante évidence, la soprano russe confirme sa position de « plus belle voix de l'art lyrique » actuelle. Sur tout le registre, elle possède une aisance d'expression vocale dont aucune autre de ses consoeurs ne dispose. Excellente actrice, dans son Mio superbo guerriere, elle joue sa Desdémone amoureuse avec un talent incontestable de séductrice lui permettant d'esquiver les pianissimi qu'elle n'a jusqu'ici jamais maîtrisé.

Dans les plus petits rôles, la prestation du ténor sarde (Cassio) sort du lot des autres comprimari avec une projection et une clarté vocale bienvenue.

Si l'orchestre du mérite louanges, (les sourires de à leur encontre en était une preuve), The Collegiate Chorale impressionne par sa masse vocale. Malheureusement (est-ce la comparaison avec l'excellence du Chœur du Grand Théâtre de Genève si souvent félicité dans nos lignes ?), la diction de cet ensemble laisse grandement à désirer. Certes, les deux chœurs d'entrée d'Otello (Una vela, una vela,… et Fuoco di gioia) sont d'une grande complexité linguistique mais auraient mérité qu'ils soient mieux préparés quitte à ce qu'on réduise les participants du chœur afin d'en améliorer la déclamation.

En deuxième partie, le chef russe avait mis au programme le troisième acte des Walyrie, œuvre qu'il vient d'enregistrer aux commandes de son orchestre du Mariinski. Après un prélude où la musique de Wagner sort plus victorieuse que les couleurs orchestrales que Gergiev donner à son orchestre, la célèbre chevauchée des Walkyries tombe quelque peu à plat malgré les étourdissantes prestations vocales de Natalia Evstafieva (Waltraute) et de Tatiana Kravtsova (Helmwige). L'entrée d' (Brünnhilde), la voix chargée de brillance, apporte une tonalité manifestement plus théâtrale à ce que l'on pu déceler jusqu'alors.

Mais c'est quand (Sieglinde), ouvrant grand ses bras, comme un appel amoureux, chante d'une voix immense, venant des profondeurs de son âme Rette mich, Kühne ! Rettet mein Kind ! que va s'opérer le miracle artistique qui porte une interprétation vers les sommets de l'émotion. Dès cet instant, la soprano hollandaise réussit à faire passer Wagner, tout le Ring, l'orchestre, au-delà même de la musique. Elle sublime l'instant, nimbe l'espace de son chant puissant, donne au moment présent l'image d'une femme brisée, d'une mère ravagée par la douleur dans des accents déchirants d'un chant extraordinaire.

Dès lors, toute la scène de Verbier va changer. A commencer par qui transcende l'orchestre pour le mener aux portes du paroxysme sonore. La modernité des accents wagnériens explose soudain pour laisser place aux plus belles sonorités du romantisme. Et cette superbe clarinette basse omniprésente, et ces bois si profonds, ces cuivres éclatants et ces cordes si sensiblement contenues ! C'est à du tout grand Gergiev auquel le public est convié. On plane, on vole, on communie avec le plateau.

Et comme si cela ne suffisait pas, le baryton-basse (Wotan) affiche une forme vocale qu'on ne lui avait plus connue depuis longtemps. Ses fureurs sont teintées d'une voix parfois âpre et rugueuse toute en théâtralité exacerbée sans que jamais la clarté de sa diction ne s'en trouve amoindrie. Il offre un discours sensible et crédible à un personnage qu'il semble dominer totalement. Dans son long dialogue avec Brünnhilde, elle aussi subitement transformée pour une interprétation empreinte d'une sensibilité à fleur de peau, le baryton gallois passe de la colère débordante de cruauté à la compassion et à l'amour paternel dans une expression chantante d'une extrême beauté. La voix se faisant subitement douce et lyrique, il chante dans un presque imperceptible susurrement Leb wohl, du kühnes, herrliches Kind suivi d'un sublimé Der Augen leuchtendes Paar confondant d'émotion.

Après avoir à nouveau exprimé sa puissance dans l'autorité de son appel à Loge, il laisse la place à un Valery Gergiev plus inspiré que jamais qui livre une musique bouleversante aux larmes jusqu'aux tous derniers accents de ce troisième acte des Walküre qui devrait longtemps rester au cœur des spectateurs. Spectateurs privilégiés d'avoir assisté à l'un des plus émouvants concerts du Festival de Verbier, spectateurs qui ont attendu dans un long silence respectueux, le moment où ils ont réservé un triomphe aux protagonistes de cette admirable prestation.

Crédits photographiques : Aleksandrs Antonenko (Otello), (Desdemona) ; (Sieglinde), (Brünnhilde)  © Aline Paley

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