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A Verbier, l’art d’Evgeny Kissin

Changement total d'ambiance avec le concert de la veille qui voyait Valéry Gergiev mettre le feu avec le 1er acte de l'Otello de Verdi et le 3e acte des Walkirie de Wagner. Après la débauche de musiciens, de choristes, de solistes de toutes couleurs vocales, la scène n'est occupée que par un piano.

C'est la soirée réservée à , l'un des plus fidèles artistes présent au Festival de Verbier. Les années passent et le talent, l'engagement du pianiste russe reste entier. Pas de triche avec Kissin. A chaque récital, il se fait un point d'honneur de présenter un programme qui, s'il reste dans le cadre de ses compositeurs fétiches, ne dépare jamais d'un défi au répertoire pianistique le plus emblématique. Ainsi l'opus 111, dernière sonate de Beethoven et quatre impromptus de Schubert figuraient au centre d'un récital entouré par une sonate de Haydn et une Rhapsodie de Liszt.

On aurait tort de penser que la Sonate pour piano n° 62 de n'est qu'une « piécette » pianistique pour se chauffer les doigts avant d'attaquer le « grand » répertoire. Ultime sonate du compositeur, l'écriture de cette œuvre s'affirme beaucoup plus intéressante que celle des sonates que Haydn composait auparavant. Elle libère une expressivité d'une force inouïe inhabituelle à la musique de cette époque. Dès les premiers accords, Evgeny Kissin imprime des accents quasi tragiques du plus bel effet et totalement en harmonie avec le discours du compositeur. Dans son développement, le pianiste russe offre le plus beau de son toucher perlé secondé d'une sensibilité exceptionnelle. Son interprétation de l'Adagio offre des moments suspendus forçant l'auditoire à retenir son souffle pour ne pas rompre le climat de grande sérénité que Kissin crée autour de lui.

Si l'Opus 111, comme on appelle communément la Sonate n° 32 de , offre au pianiste l'occasion de montrer la maturité et la puissance de son jeu, le choix de cette œuvre joué quelques minutes après la belle sonate de Haydn n'est pas très heureux. Il ne permet pas d'apprécier totalement la qualité de l'interprétation que Kissin en donne.

L'entracte permet à chacun de se ressourcer et d'être neuf pour entendre les Impromptus de . Bien évidemment, c'est l'incontournable et populaire Impromptu en Sol bémol majeur D.899 n° 3 qui emporte les suffrages. Ce d'autant plus qu'Evgeny Kissin l'aborde avec la légèreté d'un touché perlé qui montre, une fois de plus, l'art qui s'épanouit au bout de ces doigts. Des doigts magiques conduits par le reste de son corps capable d'imprimer une puissance phénoménale à son jeu.

Pour preuve de l'incroyable énergie du pianiste russe, son interprétation magistrale de la Rhapsodie hongroise n° 12 de ne laisse aucun doute sur celle-ci. Après près de deux heures d'un récital imposant, trouver la force nécessaire à l'interprétation de cette folie pianistique tient du miracle. Etourdissant, virtuose, sans pour autant négliger l'extrême lyrisme des passages lents de cette rhapsodie, Evgeny Kissin confirme à nouveau qu'il est et reste l'un des plus grands pianiste de notre temps. Trente ans de carrière triomphale n'ont pas entamé la moindre parcelle de son plaisir de jouer, de celui de donner à entendre le meilleur de lui-même sans jamais s'économiser.

Il ne pouvait que combler le public qui lui a réservé un triomphe auquel il a répondu avec générosité en offrant quatre bis dont une transcription pour piano de l'air de flûte tiré d'Orfée et Eurydice de Gluck joué, dans un silence religieux et complice. L'extrême douceur qui l'habitait alors était comparable à celle que Barbara offrait à chacun lorsqu'elle chantait « Ma plus belle histoire d'amour, c'est vous ». Monsieur Evgeny Kissin, merci pour votre grand art !

 

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