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Arthur Endrèze, la crème du chant français des années 30

Dire que l'ingénieur du son – musicien Ward Marston réalise des prodiges est une évidence. Non seulement il accomplit des transferts en CD qui sont la perfection même, mais il applique son savoir-faire à des artistes du passé qui, sans lui, tomberaient aisément dans l'oubli.

L'une des dernières réalisations auxquelles il s'est attelé est la publication enfin intégrale – quoiqu'inespérée ! – des gravures 78 tours du baryton américain (1893-1975), cela après les rééditions nécessaires mais très partielles de VAI Audio (1128) et Malibran (MR599 et MR643). Ward Marston fait ainsi d'une pierre deux coups, puisque d'une part il rend un vibrant hommage à un immense artiste qui lui est compatriote, et de l'autre il satisfait sa passion du chant français, sans doute héritée de ses parents : « Mon grand-père paternel, confie Ward Marston, était une sorte de rebelle. Il aimait chanter, et dans les jours précédant la Première Guerre Mondiale, il s'enfuit à Paris, où il chanta apparemment certains rôles mineurs à l'Opéra-Comique. »

, né et décédé à Chicago, accomplit une carrière exceptionnelle mais plutôt inhabituelle : dans les années 30, il fut le baryton le plus admiré en France non seulement pour sa musicalité irréprochable, mais, plus étonnant, pour sa diction française claire, précise et impeccable. Et pourtant, il était promis au départ à une carrière d'agriculteur après avoir étudié l'agronomie à l'Université de l'Illinois ! Toutefois sa passion pour le chant prit le dessus et le conduisit au Conservatoire Américain de Fontainebleau, où il fut notamment condisciple d'Aaron Copland, puis élève à Nice du légendaire ténor polonais Jean de Reszké (1850-1925). Ce dernier ainsi que Reynaldo Hahn (1874-1947) lancèrent la carrière du jeune baryton : Endrèze avait décidé de ne rester en France que le temps de ses études musicales ; il en fit son pays d'élection où toute sa carrière s'épanouit pratiquement exclusivement, et ce n'est qu'en 1973, au décès de sa seconde femme Jeanne Endrèze-Krieger, qu'il retourna définitivement aux États-Unis, desquels il était d'ailleurs pratiquement inconnu…

S'il fallait citer un rôle auquel s'est particulièrement identifié, c'est bien celui de Guercœur dans l'opéra éponyme d'Albéric Magnard, qu'il créa le 24 avril 1931, dans la reconstitution orchestrale tardive de Guy Ropartz. Endrèze s'y révéla tragédien d'une intelligence exceptionnelle. À une époque où Magnard n'était plus qu'à peine un nom dans les anthologies, l'auteur de cette chronique se souvient du choc qu'il ressentit en écoutant chez un disquaire bruxellois (le Domaine du Disque, tenu par l'excellent et passionné Thierry Grisar, décédé en 1988) les deux précieuses faces 78 tours Pathé originales de 1933 consacrées à Guercœur, sous la direction fervente du chef d'orchestre belge François Ruhlmann (1868-1948). Heureusement, depuis, le CD a rendu justice à Magnard en lui restaurant la place qu'il n'aurait jamais dû quitter.

Mais Arthur Endrèze n'est pas que le créateur de Guercœur : preuve de l'incroyable foisonnement de l'opéra français de l'époque, il fut Guido dans Monna Vanna (Henry Février, 1930), Harès dans Messaline (Isidore de Lara, 1930), Herzfeld dans Maximilien (, 1932), le Prince d'Antioche dans Un jardin sur l'Oronte (Alfred Bachelet, 1932), Hérode dans Hérodiade (, 1933), Merlin dans Le Roi Arthus (, 1933), le rôle-titre de Henry VIII (Saint-Saëns, 1935), Christophe Colomb (, 1936), Metternich dans L'Aiglon (, 1937), Jean de Hautecœur dans Le Rêve (, 1939), Mosca dans La Chartreuse de Parme (, 1939), Don Jacinto dans La Tour de Feu (, 1939), Créon dans Médée (Milhaud, 1940), Jacob dans Joseph (Étienne Méhul, 1946), Jörgen dans Le Pays (Guy Ropartz, 1947)…

La réalisation de Ward Marston est particulièrement généreuse, puisque de plus elle offre intégralement des pages choisies de deux opéras, telles qu'elles ont été publiées à l'origine en 78 tours, et même celles où ne chante pas Arthur Endrèze : Tosca, en 14 faces Odéon, avec Ninon Vallin, soprano, Enrico di Mazzei, ténor, Arthur Endrèze et Paul Payen, barytons ; et Cavalleria Rusticana, en 12 faces Odéon, avec Alice Héna, soprano, Germaine Cernay, mezzo-soprano, Mady Arty, contralto, Gaston Micheletti, ténor, Arthur Endrèze, baryton, le tout chanté en français, et sous la baguette du bouillonnant Gustave Cloëz (1890-1970). Ce qui accroît encore l'intérêt de cette réalisation exceptionnelle.

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