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À Glyndebourne, Ravel entre trivialité et féerie

Cela fait partie des énigmes de la musique classique : les deux œuvres lyriques de Ravel sont presque systématiquement réunies dans un même spectacle. Pourquoi diable ? Leur durée respective n'excède pas l'heure, certes ; mais quel autre point commun trouver entre l'Heure espagnole, ce vaudeville parodique aux vers de mirliton, et l'Enfant et les Sortilèges, dont l'inventivité poétique et musicale surprend à chaque nouvelle audition ?

Non, décidément, ni la mise en scène soignée de , ni le décor de la scène – coloré, foisonnant des détails, agréable aux yeux –, ni le génie musical de Ravel, ne suffisent à contrebalancer un certain sentiment de vanité (au fond peut-être revendiqué par les auteurs eux-mêmes). Les chanteurs, certes, ne souffrent pas d'imperfections vocales majeures, mais la magie théâtrale est absente. , en Gonzalve, reproduit invariablement, pendant des minutes entières, la même mimique outrancière ; et la Concepción de Stéphanie d'Oustrac sonne assez faux, avec des poses elles aussi trop répétitives. , malgré tout, parvient à relever un peu Don Iñigo Gómez, en lui prêtant l'auto-dérision d'un pervers vieillissant qui a perdu toute illusion amoureuse.

Une fois franchies ces cinquante minutes qui (il faut bien le dire) sont d'un grand ennui, c'est pourtant un superbe Enfant qui attend les spectateurs, aussi envoûtant qu'ont pu l'être d'autres productions de Glyndebourne. La mise en scène, astucieuse dans l'Heure Espagnole, devient ici franchement géniale, et, avec une grande économie de moyen qui n'est jamais de la sécheresse, donne à chacun des brefs tableaux qui se succèdent un parfum que l'on n'oublie pas. Les indications farfelues du livret sont très justement interprétées : certaines sont abandonnées (le Pouf et la Chaise de Paille ne figurent pas à l'écran), d'autres sont scrupuleusement respectées, voire magnifiées – comme dans la scène la plus touchante, celle des Pastoureaux que sépare à jamais la déchirure de la tapisserie. Tout ce périple initiatique de l'enfant est unifié par un jeu d'échelle captivant. Le rideau se lève sur une table et une chaise démesurée, symbole d'une vision déformée de l'autorité. Mais à la fin de la pièce, les arbres et les animaux nocturnes s'écartent en deux rangées ordonnées, et l'on aperçoit au loin l'ombre de Maman à la fenêtre – scène qui pourrait être banale, mais qui, lorsqu'elle succède à tous les dérèglements des sortilèges, dépeint à merveille la paix retrouvée de l'enfant.

Le spectateur évolue ainsi au long du spectacle, bercé par ses émotions, entre le rire et la compassion. La direction filmique est parfaite, toute au service de la musique : les cadrages mettent en valeur la scénographie, ainsi que les costumes splendides et généreux, qui forment avec le dépouillement des décors un heureux contraste. Quant au , on pourrait lui reprocher d'être un peu trop en retrait, mais jamais d'être faux dans ses intentions. Kazushi Ono, de la pointe de sa baguette, assemble les couleurs orchestrales, donnant à chaque atmosphère quelque chose d'unique. La distribution vocale, enfin, est magnifiée par une superbe Enfant (), et surtout, par , dont les apparitions en Feu et en Princesse sont sublimes de virtuosité et d'incarnation.

Un DVD à avoir dans sa bibliothèque !

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