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Berg et Tchaïkovski avec Gil Shaham et Mariss Jansons

Respectant l'équilibre entre ces deux orchestres, nous revenait à Paris avec une symphonie de Tchaïkovski, cette fois la Sixième, après nous avoir offert la saison dernière une extraordinaire Cinquième à la tête du Concertgebouw d'Amsterdam.

La présence en première partie de soirée du Concerto  « A la mémoire d'un ange » ne pouvait qu'attiser la curiosité des mélomanes qui, pour cause de budget loisir peut-être consommé en ces lendemains de fêtes ou multiplication des offres en ce samedi soir, avaient laissé quelques places vacantes.

Étonnamment le mimétisme avec le concert de l'an passé nous apparut assez net avec, ce soir comme alors, une première partie qui nous laissa légèrement sur notre faim et une conclusion nettement plus emballante avec Tchaïkovski. En effet, si le chef et le violoniste nous donnèrent une interprétation du concerto de Berg parfaitement en accord et cohérente d'un bout à l'autre, ils choisirent une perspective toute en nuances et subtilités, certes irréprochablement mitonnées avec art, mais édulcorant quelque peu le dramatisme inhérent à cette œuvre poignante. C'est ainsi que nous eûmes la sensation d'entendre un Concerto  « A la mémoire d'un ange » presque souriant, heureux, ce qui peut quand même être perçu comme un joli contresens ou à tout le moins une vue partielle car évacuant la douleur de la mort de Manon Gropius, fille d'Alma Mahler disparue à 18 ans, pour laisser la part belle à un climat finalement angélique. On ne peut évidemment en discuter l'adéquation avec le titre, et il faut reconnaitre que dans cet esprit, c'était formidablement réalisé, avec un au violon d'une douceur divine flottant en apesanteur au dessus du magnifique écrin sonore élaboré par et ses musiciens bavarois. Il est vrai que beaucoup des nuances indiquées sur la partition sont marquées par le sceau du poco (poco ritenuto – poco crescendo – poco grazioso etc.), et de ce point de vue les interprètes de ce soir ont magnifiquement joué le jeu, tout comme ils furent remarquables dans la mise en place des multiples rubato demandés par Berg, montrant ainsi la parfaite entente musicale entre le soliste et l'orchestre. Mais la dynamique va quand même du ppp au fff et elle nous a semblé légèrement rabotée, cause sans doute du déficit expressif que nous avons perçu à l'écoute de cette belle et à l'évidence scrupuleuse interprétation qui ne nous a point saisi aux tripes et au cœur autant qu'on l'aurait espéré. Le «Rondo de Bach» que annonça au public en guise d'encore était la classique Gavotte en Rondo de la Partita n°3, bis radieux, cette fois sans discussion.

Nous tenions jusqu'ici comme un des meilleurs interprètes de Tchaïkovski, le niveau sa prestation de ce soir ne nous fera sûrement pas changer d'avis. Certes cette « Pathétique » a connu par le passé des interprétations plus expressivement poussées aux limites, avec le dramatisme exacerbé de Mravinsky, le déchainement de la puissance symphonique de Karajan ou la géniale démesure du final chez Bernstein, pour ne prendre que trois exemples au sommet. Mais, si Mariss Jansons ne pousse aucun de ces trois curseurs aussi loin que ses illustres prédécesseurs, il n'en propose pas moins une version aussi convaincante, sonnant avec toute l'acuité et la présence dont sont capables les instrumentistes du Bayerischen Rundfunk, sans perdre une once de qualité sonore dans les sommets de puissance, ce que, sans dévoiler le suspens, Riccardo Chailly et les pourtant habitués du lieu Wiener Philharmoniker n'ont pas aussi bien réussi le lendemain soir dans Bruckner, mais c'est une autre histoire. Si on devait qualifier d'un mot cette « Pathétique » nous dirions qu'elle était d'une limpidité exemplaire. Diablement élégante, au tempo généralement allant, aux phrasés toujours expressifs sans appui supplémentaire évitant ainsi tout pathos mal venu, aux couleurs aussi variées que les différents climats qui traversent l'œuvre le demandent, avec un équilibre et une clarté des lignes musicales comme toujours superlatifs avec ce chef, cette ultime symphonie de Tchaïkovski concluait la soirée en beauté. Enfin presque concluait, puisque nous fut offert en bis sans doute la plus belle Valse triste de Sibelius que nous ayons entendue depuis bien longtemps.

Crédit photographique : Mariss Jansons © DGG

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