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Festival de Beaune : William Christie a 30 ans

Le Pape (chaussettes rouges comprises) de la Musique baroque n'a pas dit son dernier mot !

Le magistral concert, qu'entre Salzbourg et Londres, vient d'offrir au Festival de Beaune pour la clôture de l'édition 2014, remet les pendules à l'heure, quelques peu déboussolées qu'elles étaient depuis 24 heures, consécutivement au puissant Castor et Pollux donné la veille au même endroit par la Troisième Génération Baroque, et son ensemble Pygmalion.

Au programme, 4 grands motets : 2 de Rameau, particulièrement fêté par Beaune, cette année, à l'occasion du 250ème anniversaire de sa mort, encadrant 2 de Mondonville, compositeur moins connu mais vraie révélation de la soirée pour la majorité d'un public qui n'avait pas eu la chance de faire l'acquisition de l'enregistrement Erato de 1977. L'oeil malicieux du Grand Bill devient la foudre de Zeus s'abattant sans état d'âme sur les malheureux spectateurs qui ont l'audace de laisse leur chaise émettre un ultime grommellement. Et c'est parti ! La reconquête du trône que Pichon avait fait vaciller la veille dans la tête de certains auditeurs a déjà commencé.

Mais il faut ménager les effets…Entrée en douceur avec le Quam dilecta (1722) du compositeur dijonnais. On est très vite sous le charme des retrouvailles avec l'évidente perfection du son d'un orchestre qui, depuis 1979, squatte une bonne partie de nos discothèques, par cette attention véritablement amoureuse que le chef prodigue à cette musique si délicate mais aussi aux jeunes chanteurs vers lesquels il se penche avec gourmandise. La quasi-totalité de la distribution est issue du déjà fameux Jardin des voix, Académie que le maître a initiée en 2002 , et dont sont issus les noms de bien des chanteurs du moment : Christophe Dumaux, Emmanuelle de Negri, Sonya Yoncheva, Amel Brahim-Djelloul, …Ce dernier est convié ce soir, avec , au double-anniversaire (Anne Blanchard a tenu à fêter également les 30 ans de la collaboration des Arts Florissants avec Beaune). Mélangés au Choeur avec leurs 4 collègues, les uns et les autres gagneront la rampe pour venir faire la preuve d'un savoir-faire insensé au service d'une  musique de mieux en mieux chantée.

Passée cette première mise en bouche, on ne discute plus, le spectre de la Troisième Génération s'estompe, et la maîtrise tranquille de Christie explose avec les 2 superbes motets de  Dominus regnavit  et In exitu Israel : ces machines très spectaculaires, avec leur inspiration mélodique du plus haut niveau, mais aussi leurs irrésistibles effets d'orchestre (la montée des eaux dans le premier, le reflux du Jourdain dans le second) transportent une salle qui croyait avoir tout entendu. On est en droit de préférer la séduction immédiate des nombreux tubes de ces pièces composées en 1734 et 1753, après celles de Rameau, qui, du coup, apparaissent bien classiques, en tous cas plus difficiles à appréhender. On est vraiment étonné d'apprendre que les Anglais qui accueilleront après Beaune n'ont pas voulu de Mondonville, au motif qu'ils ne le connaissent pas. Gare au bis ! Nul doute qu'à l'écoute du sensationnel Jordanis conversus est retorsum, ils risquent de regretter leur manque de curiosité…

En attendant, ce soir, à Beaune, les chanteurs vont passer de plages sublimes de lyrisme (le tube Montes exultaverunt en état de grâce absolue du merveilleux ) à la plus insolente virtuosité : l'Everest vocalisant du A facie Domini vaincu avec la plus communicative ardeur par l'émouvante clarté du timbre de basse-taille si reconnaissable de . On savait le jeune chanteur capable des écarts les plus étonnants (entre autres son hilarante composition en Moine Camembert du King Arthur de Shirley et Dino mais aussi l'audace du travesti du Cachafaz de Strasnoy, le voyage dans le temps avec Jordi Savall, et, tout récemment, l'original itinéraire intérieur Songline au Petit Festival), mais on découvre une puissance  fougueuse et une autorité stylistique qui envoient, dans une nef qui en a vu d'autres au cours de ces 32 dernières années!

De même , habitué du Festival depuis 2000, et tout frais ressorti de l'aquarium de la Platée de Mariame Clément à l'Opéra du Rhin, est ici le merveilleux chanteur que l'on a toujours plaisir à retrouver sur scène comme dans les nombreux enregistrements auxquels il a participé. Cet impeccable trio masculin est complété par la basse prometteuse de , recrue la plus récente du Jardin des Voix, que l'on a déjà pu repérer lors de la tournée française de l'Ensemble sous la direction de . Les dessus de et prodiguent bien des émerveillements sonores, avec un léger avantage pour cette dernière, concernant la libération de l'aigu. Avec l'ajout de tels talents, le Choeur des Arts florissants, luxueuse machine sonore que l'on sait, habite de la plus spectaculaire façon qui soit la Basilique Notre-Dame.


Rameau reprend la main avec son In convertendo (1715) dont la dernière section, avec la noblesse répétée des irrésistibles vocalises ascendantes , soulève de bonheur chanteurs, chef et public. Ayant dû se priver, pour raisons de santé, de quelques apparitions avec ses Arts Flo, dont la récente Platée de l'Opéra Comique avec Robert Carsen, (déléguée, comme le Jardin des Voix, à l'excellent ), Christie est visiblement heureux d'être là (on jure l'avoir vu léviter sur son podium!). Sa direction, exact contraire de celle de Pichon, pourrait paraître sèche avec cette façon dans les moments de grande puissance ou les conclusions abruptes, d'utiliser la fermeture des poings, mais elle est bien plutôt la marque d'une connaissance infaillible et d'une possession physique de cette musique.

C'est , américain, qui, à l'instar de l'anglais Colin Davis avec Berlioz, a révélé leur propre musique à des Français toujours prompts à dénigrer le pré carré de leurs artistes. Pas plus que nous, ne l'a oublié. Il le rappelle néanmoins avec ce concert triomphal qu'il agrémente de 4 bis (« du jamais vu ! » n'en reviendront pas ses musiciens ravis d'avoir retrouvé leur chef en pleine forme) : un extrait, arrangé de Castor et Pollux, le funèbre « Que tout gémisse »  devenant Kyrie que l'on joua aux obsèques de Rameau… un autre extrait du même opéra dans sa version originale (la préférée de Christie) réarrangé par le compositeur lui-même : le « Esprits, soutiens de mon pouvoir » de Phébé devenant un « Deus noster refugium »…un sublime arrangement façon Stokowski gonflé aux amphétamines baroques de ce que Rameau a écrit de plus beau, le Quatuor des Fleurs extrait des Indes Galantes, célébration de l'amour au plus haut niveau là, aussi avec d'autres paroles en latin : orchestre seul puis choeur au grand complet, 6 minutes d'extase pure ! On pourrait s'arrêter là…Et bien non, venu fêter les 30 ans de sa collaboration avec le Festival de Beaune, William Christie fait rejouer l'irrésistible Remontée du cours du Jourdain du motet de Mondonville! Et puis, comme les applaudissements ne veulent décidément pas tarir, l'oeil malicieux du Pape de la Musique Baroque s'allume une ultime fois : il indique que le temps passe et qu'il est l'heure de mettre un terme à ce magnifique anniversaire. 30 ans, c'est la prime jeunesse…

Jeunesse c'est vraiment in fine le maître-mot pour caractériser des Arts Florissants qui n'ont jamais aussi bien porté leur nom, qui viennent de créer un Festival en Vendée (« Dans les Jardins de William Christie ») , de créer leur propre label discographique (Les Editions Arts Florissants). C'est aussi le maître-mot d'une soirée où la jeunesse n'était pas qu'autour du podium de William Christie mais à l'évidence en son épicentre. Ce soir de l'été 2014, comme ses chanteurs, William Christie a 30 ans. Happy birthday Mister Christie!

Crédit photographique : © Gilles Brébant

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