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Glaucus et Scylla, renaissance d’un chef-d’œuvre à Versailles

En marge des festivités du 250e anniversaire de la mort de Rameau, Sébastien d'Hérin et ses Nouveaux Caractères font renaître à Versailles les feux et le fantastique de l'unique tragédie lyrique de . Une interprétation de haut vol qui vient rappeler fort à propos les mérites d'un compositeur injustement oublié.

La renommée de pâtit encore aujourd'hui de l'ombre de Rameau, sans compter les trois mystérieux coups de poignard qui l'expédièrent dans l'autre monde, un mois après son illustre aîné… Danseur et violoniste virtuose, il partit très tôt se former en Italie et en Hollande durant douze ans, rapportant de son périple le recueil des Sonates qui le fit connaître et engager dans la troupe du roi. Esprit indépendant, il ne tarda pas à reprendre son envol pour se produire à la cour d'Anne d'Orange, à la Haye et à la cour du duc de Grammont.

Lorsqu'il entreprend la composition de Glaucus et Scylla, son unique tragédie lyrique, à l'âge de 49 ans, le genre est déjà en perte de vitesse auprès du public. La querelle des Bouffons vient d'éclater et l'ouvrage reçoit aussi bien les critiques des lullistes – partisans d'une musique moins savante et moins calculée – que celles des ramistes, jaloux de voir une œuvre concurrente de celles du théoricien de l'harmonie classique.
Rédigé par un « Monsieur d'Albaret » dont on ne trouve trace nulle part ailleurs, le livret puise sans retenue dans les Métamorphoses d'Ovide et l'épisode tragique de la transformation en rocher environné de monstres marins de la fière Scylla par la magicienne Circé, jalouse de l'amour de Glaucus pour sa rivale. Le trio amants-sorcière est d'une efficacité narrative redoutable pour mêler effusion sentimentale, scènes de fureur et vengeance. On imagine aisément l'abondance des changements de décor pour rendre tout le merveilleux de cette formidable pièce à machines.

Lyrique tragédie

Malgré le choc que constitua sa création à l'Académie Royale de Musique de Paris en octobre 1746, Glaucus et Scylla dut attendre 1979 pour être redécouvert par un certain John Eliot Gardiner. La gravure qu'il en fit à cette époque était jusqu'à présent l'unique témoignage de cette œuvre majeure. Il faudra désormais compter avec la version que Sébastien d'Hérin et ses Nouveaux Caractères ont réalisé l'autre soir à l'occasion de cette version de concert à l'Opéra Royal de Versailles…

Emöke Baráth (Scylla, photo) et (Glaucus) forment un couple éponyme vocalement très homogène. La jeune soprano hongroise avait fait ses premières armes dans ce rôle exigeant en 2013 à Budapest sous la direction de György Vashegyi. Le legato est d'une densité remarquable, que ce soit dans les changements de registres ou dans les ornements. Sans sacrifier les coloris de la palette expressive aux exigences de la projection, elle sait avec intelligence moduler les accents d'un personnage victime de son destin. Glaucus est idéalement servi par Anders J.Dahlin ; le ténor suédois possède l'art de nuancer dans le haut du masque un timbre très clair et une intelligibilité remarquable. La Circé de Caroline Mutel complète avec ce trio de protagoniste de bien belle manière. Les lignes et l'émission très affirmées sont séduisantes de bout en bout, sans oublier la netteté des aigus qui éclatent quand la fureur du personnage se déchaîne.

Densité expressive du chant et de l'orchestre

Les rôles secondaires brillent d'un éclat moins évident, surtout quand l'écriture leur confère des parties aussi brèves que difficiles. La soprano et la mezzo se partagent respectivement les rôles de Vénus, bergère, sicilienne, Amour et Témire (!). fait éclater une éloquence remarquable en Chef des peuples, Licas et Hécate. Une pluie de lauriers également pour le chœur des Nouveaux Caractères, dont les éléments solistes sont mis à contribution dans des rôles qui n'ont de « petits » que le nom…

Le claveciniste Sébastien d'Hérin assure du clavier et du geste la direction de l'orchestre. Les cordes passent en un tournemain de la sauvagerie rythmique à la civilité la plus aimable. Les scènes virtuoses se multiplient au fur et à mesure qu'on approche du terrible et brutal dénouement. Quand triomphe Circé, le rideau tombe sur une impressionnante pluie de dards empoisonnés mêlant extrême pyrotechnie et sauts d'octaves incessants. De la sonorité étrange des bassons, les dissonances et la fausse innocence de la musette ou la richesse colorée des percussions, on ne sait qu'admirer… Célébrons la gloire de Leclair !

Crédits photographiques : © Les concerts parisiens

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