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Singin’ in the Rain au Châtelet

Le théâtre du Châtelet nous propose une nouvelle production de Singin' in the Rain réalisée quasiment par l'équipe qui avait superbement réussi en ce même lieu My Fair Lady sans toutefois atteindre ici le même niveau de réussite.

Prévu pour les fêtes de fin d'année (entre novembre 2015 et janvier 2016) ce nouveau spectacle nous est donc donné en quelque sorte « en avant première » pour une série de représentations, toutes déjà à guichet fermé, qui se termineront le 26 mars.

Si, avec sa précédente production de comédie musicale, le Châtelet avait réussi sur le plan du scénario, de la profondeur des personnages, à améliorer l'original cinématographique de An American in Paris, il ne pouvait cette fois rééditer la performance, partant d'une absolue réussite hollywoodienne pour laquelle le mot « perfection » aurait dû être inventé s'il n'existait déjà. Il faut donc essayer d'oublier le chef-d'œuvre de Stanley Donen et Gene Kelly, et se laisser séduire par ce spectacle qui ne manque pas de qualité mais qui n'atteint pas non plus le niveau de réussite des deux précédents « musicals ».

Car, en cette soirée de première, le cast nous sembla en deçà du meilleur, manquant de charme vocal, et un peu raide dans la danse. Ainsi Dan Burton nous offrit un Don Lockwood un peu trop « carré » de voix et de geste. S'il fit preuve d'un bel engagement, son timbre légèrement dur et manquant de séduction, et ses mouvements de corps manquant de souplesse et de fluidité (on était loin du modèle original) en firent un héros à demi convaincant. A ses côtés, Daniel Crossley profita d'un personnage plus naturellement drôle pour imposer son Cosmo tout en étant lui aussi un peu rude vocalement. Immédiatement plus convaincante fut la Kathy de Clare Halse, bien dans son personnage dès son entrée en scène, dynamique et enjouée comme il le fallait, même si elle nous sembla avoir un petit moment de fatigue vocale en cours de route. Par contre on saluera sans réserve la prestation d'Emma dont la Lina Lamont fut parfaite aussi bien dramatiquement que vocalement (n'oublions pas qu'elle doit transformer sa voix pendant tout le spectacle). Et dans un rôle plus court, et même deux puisqu'elle joue à la fois Zelda et le professeur de diction, Karen Aspinall et son physique rondouillard enthousiasma le public dans son numéro de danse qui ne manquait d'ailleurs pas d'humour.

La mise en scène de était, comme on pouvait s'y attendre, élégante et intelligente. Ayant choisi de se servir de la salle du Châtelet et de ses spectateurs, qui d'ailleurs jouèrent facilement le jeu, pour représenter la salle de cinéma dans laquelle se passent plusieurs scènes, le metteur en scène joua, avec réussite, de l'inversion de perspective pour tantôt nous placer devant l'écran, en spectateur et acteur, ou derrière en coulisses. Voulant ancrer son action à l'époque de l'intrigue au début du parlant et évoquer le noir et blanc du cinéma d'alors, il choisit d'éviter de reproduire l'aspect technicolor du film, en  utilisant peu de couleur pour ses décors. L'idée est intéressante, pour autant, en repeignant en noir et blanc son background, il ne put éviter d'y introduire une couche de gris,  enlevant une partie de l'effet punchy et euphorisant que transmettaient les flamboyantes couleurs du film. On s'en doute, la séquence Broadway Melody, fantasmagorie issue de l'esprit de Don Lockwood fera exception au grisonnant ambiant, toute en lumière et couleurs. Tout comme l'épilogue, très réussi, et réellement euphorisant,  inspiré du générique final du film.

La chorégraphie est d'un bout à l'autre fort plaisante et les numéros s'enchaînent avec fluidité. Le clou attendu restant la séquence éponyme où Dan Burton exécute son fameux numéro sous une vraie pluie battante et une gouttière tout aussi généreuse, beau travail d'ingénierie autant que de scénographie. Si les ballets avec leurs nombreux danseurs fonctionnent pile-poil, reconnaissons que l'absence de Cyd Charisse dans Broadway Melody se fait trop cruellement sentir.

Dans la fosse nous retrouvions l' emmené par chef et compositeur britannique Gareth Valentine. On regretta un peu, pour un orchestre habitué au répertoire classique, l'usage d'une dynamique trop étroite, amenant la fosse à sonner trop uniformément et un peu fort. Un peu plus de nuances « classiques » auraient été sympathiques. C'est d'ailleurs l'adjectif qui nous vient à l'esprit pour qualifier l'accompagnement orchestral, qui, comme souvent en ces lieux, n'arrive pas entièrement à trouver le naturel de ce genre de musique.

Venant après la superbe My Fair Lady et la brillante adaptation d'An American in Paris, cette nouvelle production qui, à l'évidence, ravit le public présent à cette première, n'atteint pas le haut niveau de réussite de ses devancières, cédant principalement sur la performance scénique de certains des protagonistes, défaut qui sera peut-être corrigé à mesure que les représentations avanceront, ou pour la reprise de novembre. On prend quand même plaisir à ce spectacle, mais il n'est pas complet et on sent qu'on peut encore mieux faire.

Crédit photographique : Don Lockwood (Dan Burton) / Kathy Selden (Clare Halse)  / Singin' in the Rain (Broadway Melody) – Théâtre du Châtelet (c) Patrick Berger

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