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La Rusalka de Robert Carsen de retour sur la scène de Bastille

La somptueuse production de mettant en scène Rusalka d'Antonin Dvořák en 2002 revient à Bastille, après une première reprise en 2005, Turin en 2007 et continue de nous séduire.

« Malheur à qui apprend à connaître un humain ». La malédiction est proférée par l'Esprit du lac et s'abat sur l'infortunée Rusalka. Nymphe des eaux et immortelle, elle s'est éprise d'un Prince qui a pris l'habitude de « se baigner entre ses bras ». Elle veut connaître l'amour avec un humain. La sorcière Ježibaba lui donne un corps de femme mais en retour Rusalka perd sa voix. Lassé de trop de silence et de mystère, le Prince préfère bientôt la Princesse étrangère et abandonne Rusalka. Elle revient, damnée, dans l'empire des eaux. Elle est condamnée à errer comme un fantôme et à conduire les hommes à la mort. Envoûté, le Prince cherche à la retrouver. Elle apparaît alors et l'avertit de son sort. Il accepte de mourir dans ses bras.

Flirtant avec les légendes wagnériennes, l'histoire de l'ondine Rusalka inspire qui va jouer, dans les deux premiers actes du moins, avec les effets de miroir et de symétrie. Le lit, dans lequel se retrouvera l'héroïne avec le prince à la fin de l'acte I, se reflète à la surface de l'eau tandis que les trois ondines et l'Esprit du lac, certes un peu moins sombre qu'Alberich, semblent rejouer le début de l'Or du Rhin au fond de l'eau. Dans le second acte, un miroir imaginaire sépare latéralement le plateau en deux, observant un jeu de symétrie très subtil, notamment entre Rusalka muette et la princesse étrangère. Le troisième acte réserve de très belles surprises, la magie des lumières aidant, comme celle, fantomatique, de la dernière scène où le prince succombe au baiser mortel de Rusalka.

Si les références à Wagner, ses personnages, ses motifs conducteurs, ses couleurs, sont omniprésentes dans Rusalka (1901) – de la Tétralogie à Parsifal en passant par Tristan et Isolde – la musique de Dvorak n'en est pas moins attachée à la mélopée populaire et sa cambrure rythmique qui lui confèrent sa singularité et sa séduction. L'oeuvre manque toutefois de concision et s'enferre parfois dans les conventions, celle du ballet du second acte et des airs qui étirent par trop le temps et relâchent la tension dramatique.

Pour autant le plateau ne déçoit pas nos attentes. Dans le rôle titre, la soprano  révèle une voix longue et expressive d'un timbre très chaleureux. Son hymne à la « petite lune » émeut, même si le registre aigu manque un peu de moelleux. Sans la même aisance scénique peut-être, son partenaire Pavel Cernoch est un Prince remarquable, à la voix claire et flexible, d'une belle vaillance dans l'aigu de sa tessiture.

L'Ondin  a l'autorité vocale de son personnage, timbre riche et résonance profonde. La mezzo /Ježibaba ne manque pas d'envoûter par ses graves cuivrés et ses accents cursifs qui captent l'attention. Les trois « filles du lac » très ondoyantes et vocalisantes réussissent quant à elles une très belle scène d'entrée, n'était le sol un peu glissant sur lequel chute l'une d'elle!

Dans la fosse, après une ouverture plutôt terne, l'Orchestre de l'Opéra sous la baguette de met un certain temps à prendre ses marques mais parvient à déployer de belles couleurs, les lignes instrumentales, clarinette et hautbois, doublant souvent les voix dans Rusalka. On est tout à la fois charmé par la séduction mélodique et irrité par une orchestration souvent convenue qui ne maintient pas toujours l'écoute en éveil.

Mais ne boudons pas trop notre plaisir : le superbe spectacle qui se déployait ce soir sous nos yeux enchantait ce conte lyrique et sauvait une partition qui n'est pas sans faiblesses.

Crédit photographique : © E. Bauer / ONP

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