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Les fulgurances de Yejin Gil

C'est en raflant quatre prix au Concours International d'Orléans, où elle est finaliste en 2010, que se fait connaître en France. Pianiste coréenne d'un talent rare, elle est venue parfaire ses études musicales en Allemagne où elle vit à présent.

Cet album monographique, « coup de coeur » de l'Académie Charles Cros 2014, témoigne des qualités hors norme de la jeune virtuose et de son engagement pour le répertoire des XXe et XXIe siècles.

Le programme subtilement élaboré inverse ici la chronologie (d' à ) et met en perspective un corpus d'oeuvres (des Études pour la plupart, au sens où les conçoivent Chopin et Debussy) qui figurent comme les pierres d'angle du répertoire pianistique d'aujourd'hui.

Ainsi les six Études redoutables de la compositrice coréenne , élève de , qui s'adonne, à l'instar du Maître, à l'art des illusions acoustiques: celle du gamelan balinais dans In C donne à entendre les résonances d'un gong grave sur lesquelles s'inscrit une main droite d'une agilité d'oiseau. Après Sequenzen et Scherzo ad libitum renouvelant d'autant les univers, Scales est un flux de « pierreries légères » sous le toucher sensible de cette magicienne du son. Jouant sur les notes répétées, Grain, qui referme le cycle, est dédié à et précède dans l'enregistrement Incises du même Boulez. La pièce retravaillée jusqu'en 2001 est abordée par de manière presque caressante, avec une digitalité féline qui sert admirablement l'arabesque fantasque du compositeur.

Au mitan de l'album, les deux premières études du Livre III – donné dans son intégralité – de nous mettent à l'écoute du son, celui délicat, sensuel et raffiné de l'interprète qui enchante le clavier par l'aura poétique qu'elle fait naître sous ses doigts. Autant d'atouts pour aborder l'univers d' que la pianiste semble s'être totalement approprié. Jamais encore Mode de valeurs et d'intensités (deuxième des célèbres quatre Études de rythme) n'avait sonné avec autant de charme sans rien céder à la clarté et l'intelligence du texte. Dans Îles de feu I et II, la puissance du geste, allant vers la volupté et l'éclat des couleurs, n'altère jamais sa souplesse et le contrôle du son, souverain dans le jeu très impressionnant de l'interprète. L'énergie vertigineuse autant que la beauté des textures sonores déployées dans le sixième « Regard » Par lui tout a été fait, qui clôt cet album, laissent espérer que Yejin Gil enregistre un jour l'intégralité du cycle, cette « cathédrale sonore » – selon les termes d'Omer Corlaix qui signe une très belle notice de présentation – que l'on aimerait voir restituer sous les doigts et avec l'imagination de cette musicienne fabuleuse.

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