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Mai au Balcon avec Lohengrin de Salvatore Sciarrino

En résidence au Théâtre de l'Athénée depuis 2013, l' et son fougueux directeur musical ne cessent de nous étonner, par la qualité de leurs prestations et le choix  d'oeuvres aussi rares que marquantes.

Après Peter Eötvös avec Le Balcon en 2014 et Gérard Grisey (Quatre chants pour passer le seuil) c'est et son « action invisible » Lohengrin qui étaient à l'affiche, donné en alternance ou couplé avec l'opéra de chambre Avenida de los incas 3518 de Fernando Fiszbein convoquant la même équipe dont le metteur en scène .

Pour son Lohengrin (1982) fort éloigné du vaillant héros wagnérien, emprunte à la nouvelle éponyme de Jules Laforgue, ce grand lecteur de Schopenhauer qui n'évoque le chevalier au cygne qu'à travers la démence d'Elsa. Par ses paroles et tous les sons qu'il peut émettre, le personnage est Elsa mais aussi Lohengrin (« je hais tes hanches maigres » dit-il)  en même temps que le monde d'Elsa, l'espace mental généré par ses pensées et sa folie. Ainsi est-elle seule sur scène jusqu'à l'épilogue, et si le rôle n'est pratiquement que parlé (en italien), le texte très épuré, accordant des plages de silence, s'accompagne de souffles, bruits de bouche, coups de glotte et illustrations diverses (cris d'oiseaux, roucoulement, galop de cheval…), tout un monde bruité très schiarrinesque émanant du corps comme de la voix du personnage.

Dans la belle mise en scène de , jouant de cette ambiguité latente, Elsa est un homme – l'acteur belge Johan Leysen exceptionnel – apparaissant dans une robe de mariée dont il va progressivement se libérer jusqu'à la nudité totale. Captivante la façon qu'il a d'exploiter sa voix dans tous les registres, les variations de rythme et la dimension sonore envisagés par le compositeur. Dans l'épilogue saisissant, alors que trois infirmiers (le choeur) sont venus lui passer la camisole de force, Elsa entonne une cantilène dernière…

Le décor lapidaire est relayé par les lumières et la vidéo live, celle de Yann Chapotel: les plumes blanches de l'oreiller qu'Elsa est en train de vider sont poétiquement réfléchies sur l'écran comme les quelques pierres que manipule l'acteur alors que l'image fulgurante du cygne surgit à l'acmé de la folie.

Dans la fosse, l'orchestre sonorisé – celui du Balcon rompu au maniérisme sciarrinien – contribue à entretenir le climat onirique autant qu'énigmatique. L'écriture instrumentale est pulsionnelle comme la voix, traversée de souffles, de chocs lourds évoquant des battements de coeur, et traitée dans des dynamiques extrêmes. Aux textures bruitées parfois agressives qui répercutent les mots s'opposent des sonorités fragiles et vacillantes – bisbigliandi des clarinettes, tenues en harmoniques des cordées évoquant l'orgue à bouche asiatique – pour accompagner le flux des paroles.

instaure un équilibre bien senti entre le monde instrumental et la parole et fait naître cette matière vivante, palpitante et toujours à fleur d'émotion qui nous tenait en haleine durant les 45 minutes de ce spectacle hallucinant.

Crédit photographique : Lohengrin  (c) Pierre Grosbois

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