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Berlioz versus Beethoven au Festival Berlioz

Audacieuse idée, en fin de Festival, que d'associer le jeune Berlioz et le Beethoven de la maturité au cours d'une soirée intitulée Hymne à la joie. Qui sort gagnant de ce choc des titans ?

On l'a beaucoup dit et loué : Beethoven est chez lui au . Ces deux géants de la musique de chaque côté du Rhin ont entamé, depuis quelques années déjà, un dialogue des plus stimulants à La Côte-Saint-André. Les voici réunis pour la quasi-clôture de l'excellente édition 2015.

Berlioz est donc représenté par ses œuvres de jeunesse. Judicieusement déplacée in extremis en début de concert, sa cantate la Mort de Sardanapale, enregistrée une seule fois, sauf erreur, par Jean-Claude Casadesus chez Naxos, constitue une découverte pour le public. N'excédant pas cinq minutes, l'œuvre qui lui permit d'obtenir enfin le Prix de Rome en 1830 sollicite un chœur d'hommes, un ténor, et commence aussi abruptement qu'elle finit. A peine est-on parti avec délectation à la pêche aux germes du grand œuvre à venir que la Mort de Sardanapale nous quitte déjà, mutilée par son auteur lui-même (on peut lire, en maints endroits du manuscrit original : « à brûler »). Berlioz finit par qualifier l'œuvre de « médiocre (…) pleine de lieux communs (…) J'ai été forcé d'écrire pour avoir le prix. » Dommage. Il est toujours intéressant de savoir d'où vient un auteur génial.

Fort heureusement, les vingt minutes de la Scène héroïque (sous-titrée la Révolution grecque) n'ont pas connu ce sort ! L'œuvre est pourtant antérieure à Sardanapale. Composée par un Berlioz de 22 ans en écho à la guerre d'indépendance que le peuple grec mena contre les Turcs de 1821 à 1829, c'est un morceau des plus spectaculaires, dont le finale est proprement emballant, le genre de tube que l'on fredonne à la sortie. Dans le contexte grec actuel, le « Lève-toi, fils de Sparte… » inaugural acquiert même une valeur empathique supplémentaire. Le chœur d'hommes est très exposé mais, lorsqu'à mi-parcours les femmes se soulèvent aussi, lorsque les harpes des Troyens scandent l'hymne, on est enfin chez Hector avec cet art tout berliozien de la mélodie généreuse et de l'aspiration élevée, tout près de Fidelio. On se surprend à penser que la Symphonie n° 9 de Beethoven à venir va peut-être nous paraître un brin compassée.

C'est compter sans l'interprétation énergique de à la tête de l'. Dès les premiers roulements de timbale de l' « Allegro ma non troppo », confirmés par les coups de marteaux du scherzo (qui nous font penser que le timbalier a peut-être décidé de rivaliser avec le canonnier napoléonien à l'œuvre sur la terrasse du Château Saint-Louis, en charge chaque soir de faire entrer l'orchestre sur scène en même temps que d'infléchir la circulation cardiaque de l'assistance), l'on ne peut que louer l'évidence d'un tel choix interprétatif, finalement le seul viable face à la fougue de la jeunesse berliozienne précédente. Cela ne va cependant pas sans menus dégâts collatéraux : quelques échappées cuivrées qui ternissent l'excellence d'un orchestre rutilant, un « Adagio » un peu superficiel, mais surtout un quatuor de solistes sidérés, notamment , soprano au forceps. La basse Michel de Souza, qui avait fait belle impression en compagnie de son alter ego Derek Walton dans la Scène héroïque, doit gérer les premières notes d'un « O Freunde » intimidé par tant de gigantisme. L'excellent jeune ténor Bogdan Volkov, déjà très à l'aise dans Sardanapale, est celui qui essuie le mieux la tempête avec le mezzo, il est vrai, moins sollicité, de Henriette Gödde. Le chœur, préparé par , est superbe.

Beethoven joué façon Berlioz, lequel voulait du « colossal », du « Babylonien », du « Ninivite », pour son Te Deum ! Voilà une idée tout à fait dans la ligne du nouveau festival.

Crédit photographique : © Delphine Warin/

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