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Les Danaïdes de Salieri, enfin la version de référence

Dirigé par un des grands jours, les Danaïdes, opéra de Salieri, convaincra plus d'un mélomane du génie musical et théâtral d'un des compositeurs les plus sous-estimés de notre époque.

Présenté au public parisien de 1784 comme un opéra de Gluck écrit en collaboration avec son jeune élève, l'ouvrage d' les Danaïdes fut un des grands succès de la scène lyrique française jusque dans les années 1820. En 1858, Berlioz ne manquait pas de décrire dans ses écrits le choc qu'il avait pu ressentir, jeune étudiant, à la découverte de ce pur chef-d'œuvre. Aujourd'hui encore, on a du mal à comprendre comment un opéra à la musique et au thème aussi puissants a pu quitter le répertoire. Sans doute les excès prérévolutionnaires d'un livret mettant en scène l'assassinat de cinquante époux paraissaient-ils difficilement acceptables pour le public au goût quelque peu embourgeoisé de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle… Pour notre époque, la redécouverte des opéras de Lully et de Rameau nous permet à présent d'apprécier à sa juste valeur cette véritable tragédie revisitée, dépouillée des éléments décoratifs, merveilleux ou divertissants qui avaient été la marque de fabrique des grands titres de l'opéra baroque. En lieu et place de la grâce et de l'élégance caractéristiques des précédents ouvrages apparaissent ici tous les déferlements de la passion humaine, que ces derniers soient suscités par la haine vengeresse de Danaüs, déterminé à faire tuer ses cinquante gendres, ou par l'impossible dilemme d'Hypermnestre, déchirée entre son amour pour Lyncée et l'injonction paternelle d'assassiner son époux. La scène infernale sur laquelle se clôt l'ouvrage, qui annoncerait presque la scène du banquet de Don Giovanni, n'est que le point d'aboutissement d'une véritable tragédie qui, du début à la fin de l'opéra, prend l'auditeur à la gorge.

Visiblement inspiré par la musique de Salieri, est tout à fait l'homme de la situation. À la tête d'un ensemble davantage rompu à l'élégance des opéras de la fin du dix-septième siècle, il sait mieux que personne faire ressortir toute la violence contenue d'une partition dont il se plaît parallèlement à souligner la subtile orchestration. Comme ils l'avaient déjà montré dans les concerts et les CD en compagnie de Véronique Gens, excellent tout particulièrement dans cette esthétique déjà fin-de-siècle, à la charnière entre le classicisme triomphant et le tout début du romantisme.

Le plateau réuni pour cet enregistrement est de la plus grande qualité, à commencer par les titulaires des deux rôles principaux. , à la voix belle, puissante et charnue, est à l'aise autant dans la déclamation du récitatif que dans les airs plus lyriques. Elle brosse d'Hypermnestre un portrait infiniment touchant. À ses côtés, est un Danaüs tout en nuances, sachant mettre en avant le côté torturé et halluciné d'un des pires méchants du répertoire lyrique. En Lyncée, le ténor évolue sans difficultés dans les hauteurs de sa partie, même si l'on peut craindre que son timbre légèrement nasillard ne s'aigrisse dans les années à venir. Belles prestations également de la part de et de dans des rôles qui, chantés par d'autres, auraient été considérés comme secondaires. Un grand coup de chapeau à tous ces artistes qui, ceux du chœur en tête, parviennent à rendre au texte toute son intelligibilité et toute sa pertinence.

Que tous ceux qui prenaient Salieri pour un Mozart de seconde zone se jettent sur ce superbe livre-disque. La révélation sera de taille.

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