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Travaux sur les loges du Palais Garnier : l’avis d’un avocat

Face à la grogne croissante contre la transformation des cloisons des loges de l’Opéra Garnier – une pétition a recueilli plus de 22.000 signatures en une semaine et des protestations de la Société de Protection du Patrimoine et de l’Esthétique Français (SPPEF) et d’Urgences Patrimoine s’ajoutant à celle de l’Académie des Beaux-Arts et de Hugues Gall, ancien directeur de l’Opéra de Paris – ResMusica a souhaité comprendre quels étaient les recours pour concrètement interrompre ces travaux, et quelles sanctions pouvaient être prises.

Pour l’heure, l’Opéra de Paris a indiqué que  « les travaux se poursuivront dès que la validation par la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) sera confirmée, selon un calendrier adapté à la programmation de la salle ; ils doivent s’achever au printemps 2016. ». La Ministre de la Culture n’a pas pris position.

Me Jérôme Grand d’Esnon, avocat associé du cabinet Carbonnier Lamaze Rasle, spécialiste des questions d’urbanisme et de droit public, répond à nos questions.

ResMusica : Quels sont les recours pour stopper les travaux des loges de Garnier?
Me Jérôme Grand d’Esnon : N’importe quelle personne physique ou morale qui a intérêt à agir peut écrire à la Ministre par simple courrier pour lui demander que les travaux soient arrêtés. Si elle ne répond pas dans les deux mois, son silence vaut rejet de la demande, et ce rejet peut être attaqué devant le tribunal administratif.

RM : Les travaux peuvent reprendre à tout moment, si la DRAC le décide. Peut-on faire bloquer les travaux en urgence ?
JGE : Oui, il est possible de demander au juge des référés d’interrompre les travaux au motif que des dégâts irrémédiables pourraient être causés. L’arrêt provisoire des travaux peut être obtenu en quelques jours.

RM : Quelles sont les conditions pour avoir un intérêt à agir ?
JGE : Il serait possible de soutenir qu’en l’espèce, une simple personne physique qui a un abonnement à l’Opéra de Paris aurait un intérêt à agir et pourrait saisir le juge des référés ou écrire à la Ministre.

RM : Les entités qui se sont prononcées, telles que la SPPEF, Urgences Patrimoine, l’Académie des Beaux-Arts, ont-elles un intérêt à agir ?
JGE : Oui si la défense de ce patrimoine est prévue dans les statuts de ces associations. En la matière, le seul critère est l’objet de l’association tel qu’il est défini dans ses statuts.

RM : Et le « Comité Garnier » à l’origine de la pétition ?
JGE : Non, et ce pour deux raisons. D’une part car à ma connaissance ce comité n’a pas d’existence juridique. D’autre part parce que les personnes morales doivent exister préalablement à la cause du litige, ceci pour éviter la constitution de groupes de pression dans le domaine de la construction.

RM : La Ministre de la Culture dispose-t-elle de moyens d’actions ?
JGE : Oui, en tant que Ministre de tutelle elle pourrait saisir de sa propre initiative l’Inspection générale des Affaires Culturelles pour lui demander un rapport à rendre sous 2 à 3 semaines, et écrire au Directeur de l’Opéra pour lui demander de suspendre les travaux jusqu’à ce que l’Inspection rende son rapport. C’est, a minima, ce qu’on serait en droit d’attendre de la part des autorités de tutelle.

RM : Que peut décider le juge des référés ?
JGE : Il peut ordonner l’arrêt des travaux en attendant le jugement au fond. Mais seul le juge du fond pourra éventuellement ordonner la remise en état sous astreinte journalière d’une pénalité financière en cas de retard dans l’exécution de la décision de justice.

RM : Quelles sont les sanctions prévues en cas de travaux réalisés sur des bâtiments historiques protégés sans accord formel de la DRAC ?
JGE : Le Code de l’Urbanisme prévoit des amendes en cas de non observation des règles de construction ou de démolition et notamment en cas d’inobservance d’une autorisation préalable ce qui semble être le cas en l’espèce. Mais ces sanctions sont très rarement appliquées et quasiment jamais dans la sphère publique.

RM : Peut-on estimer que l’absence de sanctions pénales a pu jouer un rôle dans la décision de réaliser des travaux sans autorisation formelle de la DRAC?
JGE : Il est possible que les avantages d’une politique du fait accompli l’aient emporté devant la faiblesse du risque de sanctions. Mais cela ne rend pas cette opération légale pour autant et les recours sont toujours possibles aujourd’hui.

 

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