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Markevitch et Martinon, deux géants à l’honneur

Deux géants de la direction d'orchestre sont à l'honneur dans ces deux magnifiques réalisations de Warner Classics Erato « Icon » : et . Les amateurs d'enregistrements historiques seront loin d'être les seuls comblés !

Ces deux chefs ont dirigé divers orchestres tout au long de leur carrière, et tous deux, comme en témoignent ces enregistrements, l'Orchestre National de l'ORTF, l'Orchestre des Concerts Lamoureux, l'Orchestre de Paris, le . Tous deux compositeurs et partisans d'une vision moderne de la direction d'orchestre, ils ont également en commun le goût des interprétations extrêmement fouillées et incisives aux rythmes rigoureux, parfois cinglantes (surtout Markevitch) mais jamais clinquantes, allant droit à l'essentiel, ce qui ne les empêche pas de révéler multitude de détails et d'être extrêmement chaleureuses : en un mot des versions exhaustives de chacune des partitions envisagées.

L'intérêt de ce coffret consacré à (1912-1983) est d'abord de rendre à nouveau disponible l'album de 1996 « Les Introuvables d' » (EMI 5692122) ici présent dans les quatre premiers CDs, et entièrement dévolu à l', alors à son apogée, puis d'y apprécier les admirables musiciens chefs de pupitre Fernand Dufrêne, flûte ; Henri Bronschwak, violon et Jacques Neilz, violoncelle, ce dernier dont on peut goûter l'art notamment dans l'ouverture de Guillaume Tell de Rossini. Avec ses sonorités si caractéristiques, l' est d'ailleurs à la fête, occupant trois CDs supplémentaires dont il faut mettre en évidence deux extraordinaires interprétations : celles de la Suite Scythe op. 20 de Prokofiev et de la Symphonie n°1 en fa mineur op. 10 de Chostakovitch, parmi les toutes premières gravures de ces œuvres. La musique russe convenait d'ailleurs particulièrement bien à Markevitch, né à Kiev, tout comme d'ailleurs la musique française, et ceci est symbolisé par les deux intégrales d'œuvres lyriques qu'il nous a léguées et qui sont toujours des références : Une vie pour le Tsar de Glinka, et La Périchole d'Offenbach.

Avec le cette fois, un deuxième intérêt de ce coffret est de rééditer, dispersés sur plusieurs CDs, le triple microsillon en Hommage à Diaghilev (Columbia FCX357-359) et qui contenait Parade de Satie (extraordinaire référence par Markevitch), Le Spectre de la Rose (Invitation à la valse) de Weber-Berlioz, le Prélude à l'après-midi d'un Faune de Debussy (Markevitch à son apogée), la suite n°2 de Daphnis et Chloé de Ravel, la suite Le Lac des Cygnes op. 20 de Tchaïkovski, une Mazurka (Les Sylphides) de Chopin, Les Femmes de bonne Humeur de Scarlatti-Tommasini, des extraits du Tricorne de de Falla, le rare Pas d'Acier op. 41 de Prokofiev, Kikimora de Liadov et les Trois Danses de Pétrouchka de Stravinsky, le tout nous rappelant la haute estime réciproque qui liait Diaghilev et le remarquable chef de ballet Markevitch. C'était d'ailleurs également l'époque de Markevitch compositeur, et Warner ne l'a pas oublié en concluant ce beau coffret avec ces deux rares 78 tours de la suite de ballet L'Envol d'Icare (1933) et la suite d'orchestre Le Nouvel Âge (1937), gravées par le compositeur en juin 1938 au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, avec un résultat sonore stupéfiant pour l'époque.

Précisons enfin que le libellé « The Complete HMV Recordings » est doublement incorrect, car curieusement il manque au coffret la version mono de la suite Casse-Noisette (un temps éditée en 78 tours et bien sûr différente de celle stéréo ici présente), ainsi que le Concerto pour piano n°3 de Bartók avec Annie Fischer en soliste ; et où sont donc passées les versions françaises avec Claude Piéplu et André Reybaz comme récitants, de Pierre et le Loup de Prokofiev et du Young Person's Guide to the Orchestra de Britten ? Par ailleurs la plupart des gravures de Markevitch sont sur Columbia, et plus rarement sur HMV (His Master's Voice). « EMI Recordings » comme titre générique eût donc été plus approprié.

En acquérant le catalogue EMI alors qu'il possédait déjà celui d'Erato, Warner Classics avait l'opportunité plutôt rare de rassembler les enregistrements des deux labels consacrés au grand (1910-1976). C'est chose faite, de façon complémentaire aux coffrets Saint-Saëns, Debussy et Ravel disponibles par ailleurs. Comme EMI et Erato enregistraient conjointement l'Orchestre National de l'ORTF sous la baguette de Martinon, la célèbre phalange française est présentée dans ce coffret de manière vraiment exhaustive, ce qu'on n'aurait pu envisager auparavant. Grâce à cela, c'est à une véritable fête de musique française que nous sommes conviés, qui nous éblouit et nous enivre : Berlioz (avec notamment le très rare Lélio ou le Retour à la Vie narré par l'excellent Jean Topart), Dukas, Franck, Honegger, Ibert, Landowski, Pierné, Poulenc, Saint-Saëns et Schmitt montrent à suffisance l'éclectisme de et son amour de la musique française dont il s'agit ici des témoignages les plus convaincants : avec Jean-Baptiste Mari, il fut notamment l'artisan pionnier de la réappréciation de l'art diaphane, raffiné, tout de fraîcheur lumineuse, de . Mais l'héritage le plus précieux de Jean Martinon, ce sont ses légendaires gravures Erato d'œuvres d' dont il fut l'élève pour la composition, le disciple et ami : les trois ballets Le Festin de l'Araignée op. 17, Bacchus et Ariane op. 43 et Aeneas op. 54, ainsi que la Petite suite op. 39, Pour une fête de printemps op. 22, les Symphonies n°2 en si bémol majeur op. 23 et n°3 en sol mineur op. 42. Il est heureux de les retrouver toutes ici dans d'excellentes conditions techniques.

De Jean Martinon, nous avons déjà commenté les parutions des héritages Philips et Deutsche Grammophon, ainsi que l'ensemble de ses gravures avec le Chicago Symphony Orchestra, et on espère à nouveau la disponibilité des gravures Decca 1951-1960 (Decca 4757209) et des Prokofiev chez Vox pour que le tableau soit complet.

La qualité sonore des transferts – pas toujours récents – est généralement correcte, mais pourquoi ne pas avoir corrigé le pleurage plutôt audible au milieu du Ballet des Sylphes de Berlioz (Markevitch, CD 9 plage 9) ? Par ailleurs, certaines bandes d'origine EMI France de l'album Martinon semblent avoir quelque peu souffert (Dukas, Symphonie, CD 8 ; Honegger, Cantate de Noël, CD 9). Mais que cela ne vous empêche pas de goûter toutes les merveilles contenues dans ces deux coffrets par ailleurs très soignés.

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