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Avec l’Enlèvement au sérail, le deuxième Hörspiel de René Jacobs

Après la Flûte enchantée de 2009, récidive dans sa manière innovante et décapante de restituer le Singspiel de la scène viennoise. Qu'on aime ou qu'on n'aime pas, personne ne pourra rester indifférent devant une telle proposition.

Gageons que cette nouvelle interprétation par d'un opéra de Mozart irritera plus d'un auditeur. Nous espérons pour notre part qu'elle en enthousiasmera davantage. Tout est fait en effet pour rendre vivant le texte parlé de Gottlieb Stephanie, quitte à recourir au texte de la pièce originelle de Christoph Friedrich Bretzner, sollicité à plus d'une reprise. Et que les auditeurs non germanophones se rassurent, tous les moyens sont mis à profit pour rendre compréhensible et pour musicaliser un texte parlé qui n'a jamais paru aussi court et aussi pétillant : bruitages, utilisation judicieuse du pianoforte, citations chantées d'autres pièces de Mozart, déclamation chantée pour le texte parlé du pacha Selim, etc. Tout cela respire la scène et le théâtre, grâce notamment à des jeunes chanteurs qui ont dû beaucoup travailler pour donner à leur dialogue naturel et crédibilité. n'hésite pas, dans son passionnant texte d'introduction, à utiliser le terme de « Hörspiel », néologisme construit à partir du terme « Singspiel » et qui renvoie au concept anglo-saxon de la « radio play », pièce de théâtre privée de la scène et destinée uniquement à être entendue. L'utilisation de la musique dans le texte, au risque de friser avec le genre musical du « mélodrame », qui commençait déjà à se propager à l'époque, assure à l'ensemble une cohésion rarement atteinte, pour le bonheur total de l'auditeur. Certes, certains rechigneront peut-être devant l'intrusion de bribes de dialogue parlé dans la musique, notamment lors des passages instrumentaux de « Martern aller Arten »…

Le plaisir que l'on éprouve à l'écoute d'un dialogue entièrement recontextualisé et rajeuni ne serait rien si la restitution musicale proprement dite ne donnait autant de satisfactions. Que du bonheur, donc, du côté d'un orchestre extraordinairement vif et présent, agrémenté d'une partie de pianoforte qui dynamise à tout moment le discours. Les tempos sont constamment revisités, le plus souvent au profit du contexte dramatique. Tel est le cas du « Traurigkeit » de Konstanze mené tambour battant, sans doute parce que l'air est censé exprimer moins la mélancolie du personnage que, à ce stade crucial de l'ouvrage, la confusion de ses sentiments. Dommage que la Konstanze de , parfaitement virtuose et bien chantante, manque à ce point de charme et de charisme. Tel n'est heureusement pas le cas de ses partenaires, tous excellemment distribués. On ne s'en étonnera pas, est une Blondchen alerte et piquante à souhait, même si son contre-mi n'a pas la facilité planante de celui d'une ou d'une Lucia Popp. A ses côtés , qui aurait déjà les moyens de chanter Belmonte, est le plus délicieux des Pedrillo, mais son comparse est un Belmonte de grande classe, qui fait honneur à la totalité de ses airs.  est quant à lui un Osmin à la voix longue et souple, capable de noirceur mais également de légèreté et de vélocité. Tout en ne chantant pas, est un Pacha Selim à la voix envoutante et mélodieuse, qui redonne tout son poids à un personnage dramatiquement central et pourtant généralement mis en retrait en raison de son statut de protagoniste non-chantant. Prestation optimale du et de l'. Merci à René Jacobs et à ses troupes pour ce beau cadeau de fin d'année.

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