Decca vient de procéder à une réédition en trois coffrets d'une part importante des enregistrements de la pianiste Claire-Marie Le Guay, depuis le coup d'éclat de ses 12 Études d'exécution transcendante de Liszt en 1994 alors qu'elle avait à peine vingt ans.
Trois coffrets soigneusement édités qui invitent à un intéressant parcours bien représentatif de l'ouverture d'esprit de la pianiste, puisqu'il va de Joseph Haydn à Thierry Escaich.
Dialogue très vivant
Le premier coffret associe en trois disques des œuvres de Haydn et Mozart, rapprochées selon trois critères : de l'aube au zénith ; ut mineur ou la couleur du drame ; l'esprit concertant. L'interprétation est de facture classique, bien équilibrée, vivante et caractérisée par une belle sonorité mise en valeur par une prise de son agréable. Le rapprochement thématique des œuvres des deux musiciens est de plus très convaincant, voire éclairant.
Le maître secret de Claire-Marie Le Guay ?
Le deuxième coffret est consacré à Franz Liszt qui pourrait être le musicien emblématique de Claire-Marie Le Guay. Celui avec lequel elle a fait ses débuts avec un remarquable disque consacré aux Études d'exécution transcendante. Elle y est plus que brillante, très inspirée aussi, à l'aise dans la plus haute virtuosité comme dans les moments de grande poésie. On pourra toutefois noter que ses pianissimi le sont tellement qu'ils sont parfois à peine audibles ou curieusement détimbrés ; cette remarque est valable pour l'ensemble de ce coffret (surtout pour les œuvres avec orchestre) qui souffre parfois de problèmes très gênants au niveau de la prise de son. On peut noter comme pour le coffret n°1 que mises à part ces Études et aussi la très belle Ballade n°2, on se trouve ici devant des interprétations de très bon niveau, mais qui ne bouleversent sans doute pas la discographie. Enfin dans ce coffret, et l'éditeur devra y remédier, les pages du livret sont mal montées et il est donc impossible à lire.
Le troisième coffret propose de vraies découvertes. On retiendra particulièrement le beau disque consacré à Sofia Gubaidulina, avec ses merveilleux Musical Toys ; celui, plus austère mais nécessaire, rapprochant les sonates de Dutilleux, Bartók et Carter ; les deux versions piano du Petrouchka de Stravinsky et du Daphnis et Chloé de Ravel qui permettent une fois encore de bien mesurer l'alliance, chez la pianiste, de la virtuosité et de la capacité d'évocation ; le rare concerto pour piano et petit orchestre n° 2 d'Erwin Schulhoff ; et enfin un passionnant disque consacré à une formation rare, piano et orgue. Il rapproche deux partenaires musicaux de longue date, le compositeur et organiste Thierry Escaich et Claire-Marie Le Guay. Épicentre de ce cinquième disque, la belle œuvre Choral's Dream, pour piano et orgue, écrite par Thierry Escaich pour la pianiste. Mais à retenir aussi un Diptyque de Jean Langlais, un Colloque n° 2 peut-être un peu bavard de Jean Guillou et une belle Ballade pour piano et orgue de Marcel Dupré. Toutes œuvres où l'association piano et orgue, très bien enregistrése en l'église Saint-Etienne du Mont à Paris, fonctionne vraiment bien, sans que l'orgue écrase ou étouffe le piano.
Cet ensemble de trois coffrets permet de dresser un beau portrait de la pianiste Claire-Marie Le Guay. Ce qui frappe avant tout, ce sont les moyens techniques et artistiques de la pianiste et son intense curiosité musicale. Elle semble aussi heureuse de jouer Mozart que Sofia Gubaidulina et elle est convaincante dans ses propositions d'interprète dans un cas comme dans l'autre. Il y a chez elle beaucoup de liberté mais aussi un enthousiasme, une envie de défendre des œuvres peu jouées, sans se priver du plaisir de jouer des œuvres plus que connues. Tout cela reflète un parcours cohérent et intelligent, axé sur la transmission pour celle qui s'illustre aussi dans de nombreuses actions musicales avec les enfants et les jeunes.