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A Lausanne, le burlesque déjanté des Mamelles de Tirésias

Avec Les Mamelles de Tirésias, le rare opéra de trouve un écrin scénique et musical d'une grande qualité grâce à une distribution homogène et à une direction d'orchestre inspirée et précise.

Écrit à deux guerres de différences, la pièce d'Apollinaire en 1917 et l'adaptation musicale de en 1947, Les Mamelles de Tirésias est un manifeste pour la repopulation de la France après les deux guerres mondiales qui ont décimés la population. Un manifeste pris sur un ton burlesque par l'écrivain, et sur une musique parfois empreinte d'une certaine gravité de la part de . Une musique dont le magnifique lyrisme et les mélodies recherchées tranchent avec le ton de comédie du livret. Étrange combinaison… Un autre mystère de la musique et de l'homme Poulenc !

Avec une lointaine parenté avec la mythologie grecque, Tirésias est un devin thébain tantôt femme, tantôt homme. Le traitement du personnage par Apollinaire dans l'espace burlesque lui permet de fustiger, de moquer l'appel des autorités à l'augmentation de la natalité. Dans sa pièce, que Poulenc prend presque in extenso dans son opéra, Apollinaire élabore des théories fumantes qui se complaisent dans un discours burlesque, grotesque en ligne avec le dadaïsme à la mode à cette époque. L'action résumée dit que Thérèse, qui ne supporte plus d'être une femme et encore moins l'idée d'avoir des enfants, devient Tirésias, un homme. Son mari décide de la remplacer et se met à procréer tout seul, plus que de raison…

Traiter un livret aussi déjanté et chargé d'absurdités peut amener un metteur en scène à montrer un « grand n'importe quoi » ! Ce n'est pas le propos scénique d' qui conserve habilement l'aspect burlesque de la pièce sans tomber dans la trivialité facile. Comme tirés d'une Commedia dell'Arte moderne, ses personnages sont constamment à la limite de l'indécence sans jamais franchir le cap de la vulgarité. Le metteur en scène espagnol a bien compris l'esprit de la comédie et tout le spectacle se déroule dans une énergie digne des revues à la française de l'après-guerre. Les scènes se suivent à vive allure, les gags s'enchaînent les uns derrière les autres. Quand le rideau s'ouvre, c'est sur le mari, nu, les fesses à l'air qui prend sa douche. Plus loin, Presto soulage sa vessie dans cette même douche. Tout cela est bien conçu, hardiment mené, déroutant en même temps que très drôle.


Les protagonistes, très bien choisis, donnent du relief au décor dans lequel ils s'agitent avec talent. A commencer par le mari () à la voix assurée et à l'entregent solide. Avec une diction remarquable, ce bon comédien à la belle voix baritonale, puissante même si elle manque parfois de nuances, incarne parfaitement le personnage central de l'intrigue et ne faillit à aucun moment d'un rôle qui le voit en scène tout au long des deux actes. A ses côtés, (Le directeur/Le gendarme) impressionne d'entrée avec son monologue du Directeur. La voix claque dans un chant français parfaitement articulé, sa présence scénique ne fait qu'ajouter à sa très bonne performance.

Côté féminin, la soprano (Thérèse/Tirésias) ne domine pas aussi bien que les messieurs l'articulation de la langue française. Toutefois, peu s'en faut encore qu'elle parvienne à la dominer, tant son instrument vocal est joli, le timbre fruité et les aigus magnifiques.

Si les autres protagonistes sont plus discrets de par le poids de leur partition, aucun d'entre eux ne dépare de la qualité vocale ou théâtrale des principaux interprètes.

Dans la fosse, l', en excellente forme est dirigé avec une précision extrême par le chef français , un maître à diriger les œuvres du XXe siècle.

Crédit photographique : © Marc Vanapelghem

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