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La Resurrezione des utopies par Jordi Savall

La région Bourgogne-Franche-Comté accueille à Arc-et-Senans, commune de la Saline royale. La Resurrezione de Haendel ouvre en majesté une résidence prévue pour trois années.

Puissante idée que celle de faire coïncider les utopies fortes de Claude-Nicolas Ledoux, dont la cité visionnaire fut la première réalisation illustrant l'idéal de progrès du siècle des Lumières, et celles de dont l'orchestre, , évoque une œuvre de Couperin prônant la réunion des goûts musicaux. Nommé en 2008 Ambassadeur de l'Unesco pour la paix, initiateur de précieuses bibles discographiques multi-culturelles pour son propre label Alia Vox, , animé aujourd'hui par la volonté de « redonner aux populations immigrées la connaissance de leur musique savante et traditionnelle », est de toute évidence de ceux qui s'évertuent à faire tenir debout un monde que d'autres n'ont de cesse de vouloir faire vaciller. En soliste derrière la viole de gambe qui l'a fait connaître, à la tête de ses trois formations Hespèrion XX(I), la Capella Reial de Catalunya ou , les concerts de Jordi Savall sont de magistrales réussites artistiques, mais aussi de vibrants moments d'humanisme refondateurs.

La Resurrezione, premier véritable oratorio d'un Haendel de 23 ans, composé en un mois, créé avec faste à Rome en 1708, jamais redonné du vivant de son auteur mais allègrement auto-pillé, n'est pas une œuvre des plus familières : aucun des chœurs typiques des futurs opus sacrés, mais une enfilade de solos annonçant plutôt les opéras à venir.
L'action narre l'affrontement, dès la mort du Christ, auquel se livrent les forces des ténèbres menées par Lucifer et celles de la lumière qui fera advenir la résurrection annoncée. Ce synopsis prend un sens tout particulier ce soir dans une église d'Arc-et-Senans prise d'assaut et littéralement hypnotisée par la façon dont Jordi Savall révèle les beautés de la partition. A la place de l'Arcangelo Corelli de la création, le maître catalan, tout d'humilité discrète, donne ce qu'il faut d'impulsion à un ensemble d'une homogénéité somptueuse, bruissant de sonorités, théorbe et archiluth de grand luxe à l'appui.

Le Lucifer à l'ambitus idéal de , le Jean profondément humain de  (ineffable « Ecco il sol »), le soprano vibrant et engagé de la Maddalena d', à la lisière de la fêlure dans le finale, le mezzo aux graves très naturels de la Cleofe de : cinq chanteurs investis, aux aguets de leurs partenaires, habitent avec chaleur la nef de l'église. Tous excellents, ils sont néanmoins dominés (même physiquement aussi, puisque la chanteuse est placée dans les hauteurs de la chaire) par l'Ange sidérant de lumière d'Emöke Baráth. La jeune soprano, qui nous avait déjà emballé dans une récente Partenope, fait preuve d'une musicalité sans faille, décochant avec insolence des aigus parfaitement dardés. Un nom à retenir.

L'on sort de cette soirée aux allures de cérémonie en tous points enthousiasmante (saluée dès l'accord ultime par une ovation debout générale) avec le rêve qu'en ces temps où l'obscurité menace des Lumières que l'on croyait acquises, l'harmonie diffusée avec une paisible évidence par le très cosmopolite Concert des Nations se propage au-delà des frontières de toutes sortes.

Crédit photo: David Gnaszewski

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