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La Juive d’Halévy, entre opéra et symptôme

Dans le cadre de son festival lyrique annuel, cette année intitulé “Pour l'Humanité” (et après Benjamin, dernière nuit de Michel Tabachnik), l'Opéra de Lyon présente La Juive d'Halévy et Scribe. a fait le choix d'une sobre noirceur

Produire La Juive (opéra créé en 1835) demeure un double défi. Tout d'abord, faute de pouvoir proposer l'ouvrage intégral, dont les cinq heures épuisent les forces de chacun, chanteurs et spectateurs, il n'est pas aisé de concilier coupures (ici, l'ouvrage est ramené à trois heures et demie) et cohérence dramaturgique. Puis, cet opéra se cogne à l'histoire de son temps. En 1835, alors que Jules Michelet réalisait ses premiers travaux, Louis-Philippe s'attelait à l'un de ses projets essentiels : fondre, en un creuset national, les diverses et éparses mémoires des Français (royalistes légitimistes, royalistes orléanistes, postrévolutionnaires, bonapartistes, napoléoniens, républicains). Le Château de Versailles (sa Galerie des batailles comme ses deux avancées au fronton desquelles se lit “À toutes les gloires de la France”) en fut le lieu de communion et nourrit le premier “récit national” français dont les historiens ont démontré la dominante fictionnelle qu'il porte.

Simultanément, Scribe et Jacques (le compositeur a lui-même complété le livret) concoctaient un opéra où les fidèles des confessions juive et catholique étaient renvoyés dos-à-dos. En ce sens, La Juive est un intéressant symptôme historique. Quant à être une œuvre accomplie, des doutes ont germé tout au long de la représentation. Non que les coupures effectuées (quoique la suppression de scènes lyriques et, surtout, chorégraphiques, rabatte cet opéra d'histoire, à la Meyerbeer, vers un drame intime) ou la production soient en cause. Simplement, l'écriture musicale est convenue et fait écho au style pictural “pompier”, propre à cette époque. Par pompier, entendons ces peintres académiques (donc, ni Géricault, ni Delacroix) qui, dans un monumental récit d'histoire, plaçaient quelques brèves zones dont l'intimité visait à susciter quelques larmes apitoyées.

, cohérent et , peu raffiné

a réalisé un travail cohérent et sobre, notamment grâce à , qui a conçu un décor à cinq strates transversales. Soient, depuis le bord de scène : un large et périlleux escalier, pentu et doté de minces emmarchements ; et quatre plateaux qui, affectés de fréquents allers et retours latéraux, sont tantôt synchrones (ils forment alors la bibliothèque, qui monte jusqu'aux cimes, d'Éléazar), tantôt désynchronisés (maints décors extérieurs ou intérieurs, et une forêt nue et mobile, telle celle de Birnam). Dans ces inquiétudes scénographiques, Olivier Py organise une rigoureuse direction d'acteurs. Au profit d'une réelle continuité, il parvient à estomper les accès de sentimentalité, l'étrange projet de l'œuvre (cinq heures, pour apprendre que la Juive du titre est une chrétienne) et les lieux communs qui encombrent le livret.

Le plateau vocal soutient l'intérêt. Malgré des moyens vocaux maintenant bien usés, , fin comédien, connaît tant le rôle d'Eléazar qu'il emporte l'adhésion. Maîtrisant une tessiture périlleuse, est un Léopold sensible, tandis que campe un cardinal Brogni aussi vocalement autoritaire que théâtralement subtil. Du côté féminin, , malgré une tierce grave peu sonnante, est une émouvante Rachel, tandis que (princesse Eudoxie) se tire aisément d'un rôle quasi-caricatural. Aidé par un chœur de haut standard, , futur directeur musical de l'Orchestre de l'Opéra de Lyon, conçoit sa fonction de manière bien traditionnelle (faire avancer, en masse, un orchestre avec le plateau), alors que Kazushi Ono sait si finement révéler les feuilletages de chaque partition…

Crédits photographiques : © Stofleth /Opéra national de Lyon

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