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Amour, désir et passion d’un Grand Soir à la Philharmonie

La thématique porteuse de ce Grand Soir « Passions », qui conjuguait les forces de l' et de l'EIC, sous la baguette de , avait de quoi exalter les âmes et les oreilles du public, convié, dans l'espace de la Philharmonie de Paris, à une programmation exceptionnelle qui bousculait un rien le rituel du concert traditionnel.

On est propulsé dans le feu de l'action et l'hystérie de la passion avec Insideout (2013) du compositeur slovénien mettant en scène un couple sur le thème de l'amour-haine. Le texte taillé sur mesure d'Alexander Stockinger est adapté en français par Bernard Banoun. Les sonorités incisives d'un ensemble instrumental chauffé à blanc – harpe zinguante, percussions efficaces, hybridation des timbres et archets qui claquent – sous-tendent le dialogue hyper tendu des deux voix dans un entre-choc explosif. Sous le geste fougueux de , le soprano incandescent de affronte le baryton vaillant de Jarrett Ott durant quelques 12 minutes très éruptives, assumées, sinon avec humour, du moins avec une certaine distance.

Amour-haine

Passionné, l'est certainement, par le son et l'espace dans lequel il le fait se mouvoir. Passacaille pour Tokyo (1994), écrite pour le pianiste japonais hors norme , est une oeuvre magistrale privilégiant un axe polarisateur (le mib) autour duquel se construit l'espace sonore. Entretenant un rythme frénétique, le piano – exceptionnel – est au centre de « la galaxie », réverbéré et augmenté par l'ensemble instrumental et son tourbillon de couleurs éblouissantes. Une partie électroacoustique renvoie parfois une image sonore déformée du piano, ce halo sonore que le jeune Manoury entendait lorsqu'il passait devant les salles de danses de Pleyel à l'acoustique très réverbérée. Celle, généreuse, de la Philharmonie laisse ce soir le son s'épandre et respirer, comme dans les cadences vertigineuses du piano qu' assume avec une énergie galvanisante.

La passion exacerbée

Le second « round » de cette soirée marathon se concentre sur Erwartung (1909-1924) d', chef d'oeuvre de la période expressionniste du maître viennois si rare à affiche des concerts. Il est vrai que l'exigence, tant vocale qu'instrumentale, de ce monodrame de vingt-cinq minutes, sur le poème allemand de Marie Pappenheim, peut être intimidante. Certainement pas pour qui sert avec une assurance sidérante la richesse orchestrale d'une écriture hyper concentrée. Erwartung (Attente) est l'histoire d'une femme qui pénètre une forêt nocturne à la recherche de son amant… dont elle découvre le cadavre à la fin du premier tiers de l'œuvre, ponctué par le cri de la soprano. Le reste de la partition décrit les émotions, états d'âme et pensées du personnage menacé par la folie. Voix puissante et timbre de velours, l'immense soprano norvégienne dévoile la richesse de sa palette expressive au devant d'un orchestre superbe (l' augmenté de quelques solistes de l'EIC) dont les couleurs sertissent la voix sans jamais la concurrencer.

Au troisième « round », il est déjà 23h et le public est toujours là, curieux d'éprouver le mix improbable des musiques de Bach, Varèse et Zimmermann (amour, passion et renoncement). On ne nous épargne pas les laborieux changements de plateau (aller-retour du clavecin, puis de l'orgue pour la basse continue) qui, à une heure tardive, en découragent certains.

Jouer la musique baroque sur instruments modernes à notre époque « historiquement informée » est une aventure toujours risquée. De fait, ni la cantate profane de Bach « O holder Tag, erwünschte Zeit » – souffrant d'une justesse approximative et de la disparité des timbres – ni l'extrait de la Passion selon saint-Matthieu – mieux assumée vocalement par le baryton américain Jarrett Ott mais manquant d'assise rythmique – ne convainquent véritablement. Prise en sandwich entre les deux, Offrandes (1922) d', une partition pour voix et ensemble écrite juste après Amériques (dont on entend des citations) saisit en revanche par la radicalité de l'écriture et l'énergie du timbre. Plus à l'aise qu'avec l'arabesque bachienne, la soprano coréenne déploie une voix flexible et sensuelle même si sa diction reste perfectible.

Stille und Umkehr (Silence et retour) de termine ce Grand Soir. L'œuvre est aussi l'ultime page du musicien, écrite quelques jours avant son suicide. Tout fonctionne en boucle sur une seule hauteur de note émaillée de sonorités étranges – les scansions d'une caisse claire ( sur le devant de la scène) qui cingle l'espace – dans un temps qui s'est figé: métaphore de cette impossibilité à poursuivre une existence qu'il achèvera, comme la plupart de ses œuvres, par un geste de ponctuation radical.

Photos :   (c) IMG Artists;   (c) Intermusica

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