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La jeunesse dorée de Deutsche Grammophon

Le point commun des deux coffrets de cette rubrique est qu'ils représentent la quintessence même de l'excellence du célèbre label jaune aux tout débuts du microsillon vinyle en passe de détrôner le 78 tours. Le premier est consacré à l'un des chefs les plus importants du XXe siècle,  ; le second est un vaste échantillonnage très représentatif des microsillons monophoniques produits entre 1948 et 1957.

Pour le centenaire de Ferenc Fricsay (1914-1963), Deutsche Grammophon avait eu l'excellente idée de rassembler l'intégralité des gravures orchestrales du chef hongrois en un beau coffret de 45 CDs (4792691) qui nous révélait enfin dans toute son ampleur l'importance sans pareille de cet immense musicien. Voici en une présentation similaire la suite logique de l'événement avec l'intégralité des enregistrements avec chant qui ne sont pas moins somptueux : l'ensemble nous dévoile à l'évidence tout l'éclectisme et l'enthousiasme passionné d'un humaniste, que la maladie n'avait en rien altérés. Ferenc Fricsay fut, avec (1904-1956) et même (1912-1996), ce que l'on qualifie parfois de « house conductor » (chef à demeure) de la Deutsche Grammophon qui allait façonner tout son répertoire classique grâce à leur vaste concours. Incidemment, ce serait vraiment justice de publier enfin en coffret la totalité des gravures de ces deux merveilleux musiciens qui, tout comme pour Fricsay, étaient incomparables dans tout ce qu'ils entreprenaient.

Si Ferenc Fricsay excellait dans tous les genres et tous les styles, il ne cachait pas ses préférences : les Hongrois et surtout Béla Bartók qui furent ses professeurs, et bien sûr Mozart, envers lesquels il manifestait d'évidentes affinités. Ses interprétations de Mozart restent des références confondantes de naturel, de précision, de vie, sans la moindre lourdeur : il nous lègue ainsi cinq opéras (dont un Idoménée « live » au Festspielhaus de Salzbourg, juillet 1961), la Grande Messe en ut mineur KV 427, le Requiem en ré mineur KV 626 dans lesquels on retrouve avec bonheur des chanteurs légendaires dont il a pratiquement lancé la carrière : les lumineuses Elisabeth Grümmer, , Maria Stader, , et les incomparables Dietrich Fischer-Dieskau et Ernst Haefliger. En contrepoint des interprétations fulgurantes de pages pour orchestre de Bartók et Kodály dans le volume 1, voici les versions pionnières de la Cantata Profana et du Château de Barbe-Bleue du premier, et du Psalmus Hungaricus du second (versions mono 1954 et stéréo 1959) qui sont d'absolues références.

D'autres œuvres sont également en versions doubles mono et stéréo : les Saisons de Haydn (1952 et 1961) et le Requiem de Verdi (1953 et 1960). Passionnantes comparaisons. Par ailleurs écouter une anthologie de Carmen de Bizet en langue allemande pourrait prêter à sourire, si elle n'était interprétée de façon aussi colorée, vivante et enlevée à l'orchestre, avec des voix aussi idiomatiques. On peut encore signaler, de Mendelssohn, un Songe d'une Nuit d'Été de toute beauté, tout en finesse, tout premier microsillon (LPM18001, juillet 1950) publié par la Deutsche Grammophon ; de Beethoven, un Fidelio, et de Wagner, un Vaisseau Fantôme de rêve, et sur un mode plus léger, une excellente Chauve-Souris de Johann Strauss fils. Seule la Symphonie de Psaumes de Stravinsky déçoit quelque peu par ses chœurs datés. Mais au total, voici un album hautement désirable qui fait honneur de façon superlative à l'art exhaustif du grand Ferenc Fricsay.

Si le coffret Fricsay aborde la stéréophonie naissante, la boîte Deutsche Grammophon – The Mono Era 1948-1957, comme l'indique son appellation, se cantonne aux gravures monophoniques dès leur début, concernant des artistes dont on avait parfois oublié le nom, et qu'il était opportun de rappeler à notre mémoire. On y retrouve bien sûr Ferenc Fricsay, avec notamment son Songe d'une Nuit d'Été déjà cité, ainsi que les deux chefs déjà évoqués, et . Ce coffret est fort probablement une réponse au très réussi Decca Sound – The Mono Years 1944-1956, et il est tout aussi superbe que ce dernier, par son esprit de survol très complet des œuvres et des artistes, et ses qualités techniques irréprochables.

Les CDs se succèdent par ordre alphabétique d'artistes, depuis le Quatuor Amadeus jusqu'à l'organiste allemand Josef Zimmermann (1906-1998). Ce coffret était aussi l'occasion de publier pour la première fois en CD toute une série d'enregistrements bienvenus : notamment des symphonies de Haydn, Mendelssohn et Schumann idéalement exécutées par  ; d'extraordinaires gravures par de Danses Hongroises et du Concerto pour piano n°2 en si bémol majeur op. 83 (avec le Suisse Adrian Aeschbacher) de Johannes Brahms, et des Variations sur un thème de Hiller op. 100 de Reger ; les deux Concertos pour piano de Liszt auxquels le pianiste hongrois Andor Földes (1913-1992), en compagnie de , apporte une poésie subtile et raffinée en plus du panache habituel ; des Sonates pour violoncelle de Brahms, Grieg, , superbes par le duo Ludwig Hoelscher – Hans Richter-Haaser ; le Quatuor à cordes n°12 en fa majeur « Américain » op. 96 de Dvořák et la première gravure du Quintette à cordes en fa majeur de Bruckner par le Quatuor Koeckert ; les quatuors à cordes de Debussy, Ravel, Roussel par le légendaire Quatuor Loewenguth ; un excellent récital par la violoniste hongroise Johanna Martzy ; d'autres, éblouissants, par la soprano Maria Stader et la soprano colorature  ; l'oratorio La Création de Haydn par un à son apogée ; des extraits du Chevalier à la Rose de avec Tiana Lemnitz ; Tzar et Charpentier de Lortzing par Ferdinand Leitner, tout premier opéra complet gravé en octobre 1952 par DG…

D'autres enregistrements, absolument essentiels et déjà publiés précédemment dans les séries The Originals ou Original Masters, font aussi partie de ce coffret : Symphonie n°10 en mi mineur op. 93 par  ; version de référence des Variations et fugue sur un thème de Mozart op. 132 de Reger par Karl Böhm ; Symphonie n°88 de Haydn et Symphonie n°9 de Schubert par  : sans commentaire… ; Hindemith dirige Hindemith ; Symphonies de Mozart superbement enlevées par et  ; interprétation incomparable du Requiem Allemand de Brahms par  ; anthologie Roméo et Juliette par un tout jeune Lorin Maazel plein d'énergie ; éblouissante interprétation de la Symphonie n°2 en mi mineur op. 27 de Rachmaninov par Kurt Sanderling et la Philharmonie de Leningrad… Une véritable mine d'or !

La réalisation technique de l'ensemble est irréprochable, et on est stupéfait de constater à quel point d'excellence sonore la firme à l'étiquette jaune était parvenue dès ses tout débuts. Mais curieusement le CD 48 tout entier consacré à la grande soprano wagnérienne Astrid Varnay est essentiellement en pseudo-stéréophonie, sans doute un résidu de cette détestable pratique appliquée en son temps aux microsillons de la série économique Heliodor de la Deutsche Grammophon Gesellschaft…

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