- ResMusica - https://www.resmusica.com -

À Nancy, des Pêcheurs de Perles entre rêve et violente réalité

Dans la mise en scène épurée mais efficace d', l'Opéra national de Lorraine aligne une distribution stylée et prometteuse, parfois malmenée par la direction tonitruante de .

Sur un sol de caillebotis, où l'eau ruisselle par moments, se dressent une cabane précaire et des poteaux de bois, successivement échalas — évoquant ceux qu'utilisent encore pour les touristes les pêcheurs de l'actuel Sri Lanka — puis matérialisation de l'enfermement de Leïla et Nadir. Pour sa mise en scène des Pêcheurs de Perles à Nancy, et son scénographe François Thouret ont choisi la simplicité. Evitant tout exotisme de pacotille, qui a ridiculisé tant de mises en scène du troisième opus lyrique de , peine à ordonner et clarifier les scènes de foule, inutilement actualisées dans quelque république bananière africaine ou sud-américaine, avec un chœur en t-shirts et bermudas qui noie sa misère dans l'alcool et un Nourabad transformé en guérillero armé d'une kalachnikov. Elle réussit beaucoup mieux les scènes intimistes, dévolues au triangle amoureux Nadir-Leïla-Zurga, ouvrant alors le fond de scène sur un ailleurs coloré, rêvé et inaccessible. Là, sa direction d'acteurs trouve son plein aboutissement, obtient des gestes et des attitudes d'un parfait naturel, traduit avec finesse l'évolution psychologique des caractères, y compris dans des accès de violence qui n'ont rien d'édulcoré.

Toute jeune encore (elle n'a que 29 ans), offre à Leïla sa blondeur et sa silhouette gracile et flexible. Fragile en apparence mais déterminée, elle affronte avec aplomb (et domine) les difficultés vocales et convainc par son engagement constant et la véracité de son incarnation. Toutefois, il n'est pas certain que le caractère très aigu du rôle de Leïla soit le mieux adapté à ce soprano lyrique. Les vocalises sont survolées, le suraigu est souvent atteint en force, pris par en dessous et pas toujours juste, les sons filés semblent encore fragiles ; il y manque le caractère flottant et opalescent qui fait la magie et le mystère du rôle. Dans un français à la prononciation parfaite, l'uruguayen est un Nadir au timbre suave et à la technique accomplie. Sa romance « Je crois entendre encore », chantée comme il se doit en voix mixte, est un modèle du genre. Dans les moments plus dramatiques, sa puissance limitée (c'est essentiellement un Rossinien) déséquilibre un peu les ensembles et est souvent couverte par l'orchestre. Un Nadir fort séduisant néanmoins. Frappé par une bronchite, a tenu tout de même à assumer le rôle de Zurga, sans que Julien Véronèse, appelé in extremis en renfort, n'ait besoin de le suppléer. Même s'il n'a pu donner sa pleine mesure, il n'en demeure pas moins un Zurga impressionnant : voix d'airain puissante et bien timbrée, intensité de l'accent, souci des nuances, clarté de la prononciation, sensibilité de l'incarnation. complète le tableau avec son Nourabad tonnant et vitupérant.

Il faudra quand même qu'un jour , directeur musical de l'Opéra national de Lorraine, prenne en compte la taille relativement réduite de l'opéra de Nancy et évite d'y faire sonner les tutti comme dans une salle de 2 500 places. Au positif de cette direction musicale, une belle netteté rythmique et un parfait dramatisme. Mais trop souvent l', poussé dans ses derniers retranchements, ne vise que la puissance, se désunit et sature les sonorités. Quant au , renforcé par celui de l'Opéra-Théâtre de Metz Métropole, il ne surpasse le mur orchestral qu'au détriment d'une perte d'homogénéité et d'aigus vrillés (les sopranos). Et pourtant, quand enfin la tempête sonore se calme, on retrouve des couleurs à l'orchestre et des nuances délicates aux ténors du chœur.

Crédit photographique : Vannina Santini (Leïla) et (Nadir) © Opéra national de Lorraine

(Visited 1 374 times, 1 visits today)