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Reigen de Boesmans à Stuttgart, images plates pour musique forte

Un des chefs-d'œuvre de trouve à Stuttgart une réalisation scénique banale.

Dans la longue série des opéras du dernier demi-siècle qui, contrairement à un stéréotype très répandu, n'ont pas disparu du répertoire après leur création, les opéras de occupent une place de choix. Pas plus de six œuvres en trente ans ont largement suffi à en faire l'un des plus dignes successeurs de Britten ou de Henze, ses aînés qui comme lui, et contrairement à beaucoup de leurs contemporains, ont fait de l'opéra une forme centrale de leur production. Comme la plupart de ses œuvres, Reigen, en français La ronde, s'appuie sur une pièce de théâtre existante. L'œuvre scandaleuse en son temps de Schnitzler, que ce dernier avait prudemment refuser de faire jouer, n'a aujourd'hui plus le même pouvoir d'immoralité ; ce qui en reste, et avec force, c'est le regard doux-amer sur les relations humaines, et c'est ce que l'art de Boesmans restitue à merveille, ces clairs-obscurs du sentiment et de l'émotion. Il ira plus loin encore sur cette voie avec Julie d'après Strindberg, mais Reigen, à l'orchestration plus chargée en cuivres, plus sensuelle dans ses saturations brûlantes offre à la pièce de Schnitzler une traduction sonore on ne peut plus brillante. Boesmans a le souci de ne pas surexposer les stéréotypes sociaux que lui propose Schnitzler pour aller vers le noyau humain que masquent les convenances sociales, et son écriture vocale toujours diablement habile en parvient d'autant mieux à donner une vois individuelle à chacun des personnages.

Si cette nouvelle production de Stuttgart ne convainc qu'à moitié, c'est uniquement à cause de la mise en scène étonnamment banale de , figure de proue de la compagnie berlinoise . La direction d'acteurs qu'elle réalise avec ses dix interprètes est le meilleur du spectacle, d'une jolie facture classique ; le problème vient du caractère très répétitif de l'usage très voyant des décors et de la vidéo. Pendant presque tout le spectacle, le fond de scène est occupé par les visages en gros plan des deux protagonistes de chaque scène : on comprend bien qu'il s'agit de ramener chacun d'eux à ses propres émotions en brisant l'illusion du dialogue amoureux, mais l'impression de redondance et de maniérisme devient de plus en plus agaçante. Quant aux changements de décor, qui se déroulent toujours de la même façon, ils n'aboutissent pas à individualiser chaque scène et deviennent au fil de la soirée de plus en plus pesants. L'ennui gagne malgré la force de la musique de Boesmans et de l'investissement des chanteurs, avant qu'on parvienne enfin, dans les dernières scènes, très fortes, à oublier ce cadre visuel si clinquant et si vain.

Parmi les dix titulaires des rôles presque égaux qui se partagent la partition, il est un peu étrange de chercher à faire des distinctions, mais quatre chanteurs atteignent une qualité émotionnelle particulière : c'est d'abord l'élégante , bien aidée en ceci par la mise en scène, en femme de chambre rouée ; c'est ensuite , un des piliers de la troupe de Stuttgart ; c'est enfin, et surtout, le couple formé le temps d'une scène par le ténor et la soprano  : le lyrisme fiévreux en même temps que l'égocentrisme féroce du poète, la frivolité obligée de la diva jointe à sa quête d'amour trouvent dans ces deux interprètes une traduction idéale qui fait naître, enfin, l'émotion dans le spectacle.

Dans la fosse, l'excellent orchestre de Stuttgart est en de bonnes mains, puisque connaît l'œuvre depuis sa création, qu'il avait dirigée en 1993 à la Monnaie : l'opulence voulue par Boesmans peut seule contrecarrer la platitude visuelle du spectacle.

Crédit photographique: © A. T. Schaefer

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