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Donatienne Michel-Dansac et le théâtre aperghien

Voilà un très bel objet, d'un luxe et d'une finition remarquables ! À la hauteur des deux œuvres emblématiques – chefs d'œuvre ! – de , réunis dans ce double CD.

Il consacre le fidèle compagnonnage du compositeur avec son interprète égérie, la soprano qui en a assuré la production en collaboration avec . D'une ligne graphique originale, dans des tons de jaune sur fond gris, l'album est augmenté d'une plaquette façon journal, affichant interviews et biographies et donnant in extenso les textes d'.

Ces derniers ont été insérés au sein des onze pièces musicales de Tourbillons, lors de la dernière étape de sa conception (1989-2004). Aperghis parle d'un montage instaurant une fluidité entre mots strictement dits et partie musicale. La frontière entre les deux est toujours poreuse, le mot étant souvent « traité », comme on le dirait en électroacoustique, (registres, répétition, accélération, glissade…), autant de jeu de morphing assumé, et avec quel talent, par la soprano performeuse. Chaque insert porte une indication musicale singulière – extatique-psalmodie / exaspéré-polyphonique / paniqué-chuchoté…. – conférant au théâtre de mots sa dimensions sonore. Si l'enregistrement nous prive d'une partie du spectacle – avec mise en scène et vidéo – celui du Théâtre du Rond-Point d'où provient la captation live, la voix de est à elle seule un cinéma auriculaire. Des bruits de gorge, sifflement, couinement et autres grains vivifiant le texte de Cadiot, elle passe à la voix chantée avec une souplesse confondante et nous projette dans la tête multiple de son personnage où tourbillonnent images, idées et ressentis – les rosiers, elle, ses douleurs, Dieu, les autres… – avec virtuosité et humour, car la distance est maître mot dans le théâtre aperghien.

Enregistrée par la soprano une première fois en 2001, chez Col legno, l'intégrale des Récitations (1978) propose, dans cette nouvelle captation live, un autre sens de lecture, la page graphique de chaque numéro autorisant différentes stratégies d'approche. « S'il n'y a pas de notes et qu'on les remplace par des phonèmes ou des mots, ça fait une mélodie de syllabes ou de mots. À cela on peut ajouter des hauteurs de sons. C'est le point de départ », explique à propos de sa technique d'élaboration. C'est aussi toute l'ambiguïté avec laquelle il joue, situant son travail à la frontière du sonore et de l'intelligible. Si la voix tout en rebond, contrainte à la respiration continue, est instrument de percussion dans la Récitation 13, elle fait sens dans la 3, au terme d'un étrange processus où la manipulation des syllabes aboutit à l'articulation d'une phrase. Avec les mots, les phonèmes ou encore le matériau bruité – on pense à la Sequenza III de Berio – Aperghis fixe des règles et un mode de fonctionnement particulier pour chacune des Récitations. Tel le numéro 7 jouant sur la prolifération des figures sonores autour d'une même corde de récitation, qui finit par s'effacer. Célèbre entre toutes et chantée à bout de souffle par la soprano, la Récitation 11 est cette mélodie dont parle le compositeur, où le micro-montage de bribes de phrase engendre une syntaxe, déchiffrable ou pas. Comme dans Tourbillons, que certaines Récitations préfigurent, Aperghis s'intéresse au traitement du mot (travail sur les modes d'énonciation, d'entretien, de vibration…). Il l'exerce avec délice dans la Récitation 1, génialement restituée par la soprano dont les circonvolutions virtuoses ne laissent d'étonner. Pour ce faire, Aperghis convoque la « voix source », qui ne fait pas que chanter : celle, capable de tous les modes de production sonore, qu'assume et sublime , invitant l'auditeur à ce qu'Evan Rothstein nomme « l'écoute sensible d'une réalité indéchiffrable »

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