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Philippe Cassard et Hortense Cartier-Bresson au Elne Piano Fortissimo

Les portes de la majestueuse cathédrale d'Elne s'ouvrent pour une onzième édition du Festival Elne Piano Fortissimo. Parmi les quatre artistes invités cette année, et nous immergent dans l'univers du piano romantique allemand où se croisent les figures emblématiques de Mendelssohn et Brahms regardant tous deux vers leurs pairs, Beethoven et Bach.

C'est dans le cadre des « concerts en Région » du Festival Radio France et Montpellier Occitanie que ouvre la manifestation sous les voûtes de la cathédrale. Bien connu des auditeurs de France Musique où il est producteur (cf les émissions Notes du traducteur puis Portrait de famille), aime rentrer en contact avec son public en présentant très (trop) longuement les œuvres qu'il joue, au risque parfois de perdre le fil de son discours musical. Le programme exclusivement germanique, où l'interprète fait une place bienvenue aux dames (-Hensel et ) est cerné par deux œuvres à variations : celles de Beethoven d'abord, op. 34 en fa mineur où le compositeur s'aventure très loin du thème donné au départ, dans une exploration libre du clavier. Philippe Cassard confère un bel élan à ces variations malgré l'usage d'une pédale un peu généreuse pour l'acoustique réverbérante de la cathédrale. est la sœur du grand Felix qui n'hésitait pas à publier la musique de cette dernière sous son propre nom pour, soit disant, la protéger de toute critique négative ! Trop court mais empreint de sensibilité sous les doigts du pianiste, son Lied pour le piano est suivi par la Romance op. 21 de dont l'expressivité du discours et la puissance de l'écriture impressionnent. On sait l'attachement qu'a eu Brahms pour cette grande dame du clavier. Philippe Cassard pointe les similitudes de couleurs entre la Romance et la première Ballade op. 10 du jeune Brahms qu'il interprète juste après. C'est une pièce sombre dont il accuse les reliefs dynamiques au détriment des nervures rythmiques. Le phrasé par trop morcelé de la quatrième Ballade du même opus gâche cette page sublime que l'on aurait aimée plus calme et contemplative.

Les huit Lieder sans paroles de Félix Mendelssohn qui débutent la seconde partie convainquent davantage, portés par un élan qui exalte l'aspect foisonnant de l'écriture. Superbes également, les textures vibratiles du quatrième Lied op. 102 n° 5 qui naissent sous le toucher du pianiste et la légèreté elfique du dernier à la virtuosité éblouissante. Les Variations sérieuses de Mendelssohn (1841) qui terminent la soirée sont le fruit d'une commande de la ville de Leipzig passée à de nombreux compositeurs (Mendelssohn, Chopin, Liszt, Moscheles…) en vue de l'érection d'un monument en l'honneur de Beethoven, nous apprend Philippe Cassard. Son interprétation un rien bousculée et noyée dans un halo de pédale souffre cruellement de la comparaison avec celle d' que l'on entend dans la même œuvre le lendemain…

La grâce de

Magnifique pianiste et pédagogue – elle enseigne au CNSM de Paris – Hortense Cartier-Bresson a également construit son programme autour de la variation, de Bach à Brahms en passant donc par Mendelssohn. Au milieu de cette « germanitude », la musique nocturne de laisse paraître tout ce qu'elle doit encore à la rhétorique romantique allemande.

La variation gouverne l'écriture de Bach dans la superbe Partita n° 2 en ut mineur qui débute la soirée. On est d'emblée captivé par l'autorité du discours et la clarté de l'articulation de l'interprète dans la fulgurante Sinfonia liminaire et sa fugue magistralement conduite. Le piano chante dans l'Allemande traversée d'un souffle ample. La phrase est toujours magnifiquement conduite, propulsée dans la Courante et sobrement expressive dans la Sarabande. La gigue finale avec son contrepoint virtuose couronne avec éclat cette suite de danses.

Sombre est la première partie du Nocturne de , pulsé par un rythme iambique obsédant. La partie centrale plus lumineuse et effusive fait valoir l'élégance de la ligne dessinée sous les doigts de la pianiste et la sensibilité de son toucher. Les Variations sérieuses de Mendelssohn sont impeccablement conduites au fil de la grande forme qui se découvre à mesure, dans l'interprétation magistrale qu'en donne la pianiste. Elle ménage des paliers et des respirations au cours des 17 variations animées de canons multiples qu'elle détaille avec une précision d'orfèvre.

La seconde partie est entièrement consacrée aux imposantes Variations et fugue sur un thème de Haendel de , pièce d'envergure d'une trentaine de minutes écrite pour l'anniversaire de qui la crée à Hambourg en 1861. Ces 25 variations, sans atteindre les sommets de la dernière période du compositeur, sont une somme d'écriture pianistique débouchant sur une fugue dantesque qui couronne le tout. Un vrai défi relevé avec une assurance confondante par notre pianiste qui aime en découdre avec le contrepoint allemand. La solidité de son jeu et la maîtrise étonnante du clavier, au sein d'une écriture qui renouvelle constamment ses textures, sont rien moins qu'impressionnantes. Comme il paraît aérien et épuré cet Intermezzo de l'op. 117 du dernier Brahms qu'elle donne en bis, avec une grâce exquise !

Crédits photographiques : Philippe Cassard (c) Carole Epinette ; Hortense Cartier-Bresson (c) Jeanne Brost

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