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Orfeo transgressif à Dijon

Drogue, sexe, excès affichés ! Voilà le milieu dans lequel évolue Orphée dans cette version modernisée du mythe connu de tous. Il s'agit, pour le metteur en scène Yves Lenoir, d'établir un rapport entre le milieu artistique dit de la beat generation et le parcours existentiel du fils d'Apollon, parcours qui s'apparente ici à un road movie. Vouloir dépoussiérer cette favola in musica d'une stupéfiante beauté semble à la fois téméraire et louable. Y parvenir doit faire appel à de la prudence.

Que le même plateau baigne jusqu'au dernier acte dans une couleur noire, on le comprend aisément étant donné le sujet. Seuls quelques éléments changent, éléments dont le sens échappe parfois : le lavabo en fond de scène et la baignoire dans laquelle Orphée cuve son alcool durant le prologue surprennent, mais ne servent-ils pas seulement à évoquer les années 70 de la Factory d'Andy Warhol ? Les costumes sont en résonance avec l'époque : bottillons et courts blousons de cuir noir habillent hommes et femmes. La « bella Euridice » n'a droit qu'à une combinaison assez déglinguée avant d'enfiler sa robe longue d'épousée. Seuls ceux qui seront Proserpine et Pluton sont vêtus selon leur rang social d'un costume et d'une robe, mais moulante et fendue pour une Proserpine aguicheuse. Drôle de vision des femmes ! Elles sont presque tout le temps des chattes en chaleur qui se trémoussent lascivement, ou bien souvent des dominatrices comme Proserpine ou encore des agitées comme Euridice. La confusion des sexes peut aussi déguiser en Marylin Monroe et habiller La Musica en loulou de banlieue. Dans l'opéra baroque, tout cela n'est pas forcément gênant, mais ici cela frise la vulgarité…

En revanche, la partie musicale est de grande qualité. Les chanteurs, le chœur, et l'orchestre permettent de goûter avec délectation au génie de . Le travail d'Etienne Meyer et de est remarquable dans le domaine des timbres, notamment pour la variété de la basse continue. Dans les sinfonie, on apprécie les flûtes et les cordes au premier acte, la prestation des sacqueboutes au troisième, et la virtuosité des cornets qui dialoguent avec Orphée dans « Possente spirto ». Le chœur sait bouger et chanter d'une manière variée, ce qui colle à l'action. La danse  de « Lasciat'i monti » s'oppose à la majesté de « Vieni Imeneo », et les chœurs infernaux ont un timbre sombre très réussi. Les trois danseurs, Farid Ayelem Rahmouni, Marc Brillant, Onofrio Zummo, se révèlent dans la moresca finale dans une démonstration de hip-hop, comme une sorte de pied de nez à la tragédie.

La distribution vocale est très convaincante. Caron, , est physiquement et vocalement impressionnant. La messagère, , est émouvante à souhait. La Musica, , possède une voix ronde et expressive. Proserpine et Pluton, et , forment un duo vocal noble, Apollon, , possède la magnanimité souhaitée. , Euridice, est considérée ici comme l'égérie du poète : elle se comporte  avec justesse d'une façon inconstante au premier acte, et ce n'est qu'au quatrième acte que sa sensibilité s'épanche, hélas trop brièvement. est fait pour ce rôle d'Orphée : il réussit à camper un personnage tout en excès avec, ce qui peut paraître contradictoire, toute la souplesse nécessaire. Il sait bouger tout en gardant l'expressivité, il sait nous faire passer de la félicité à la douleur et il sait se jouer des difficultés vocales d'une façon naturelle. Bref, il campe avec fougue ce héros mythique qu'il sait rendre plus humain à nos yeux.

Crédits photographiques : © Gilles Abegg Opéra de Dijon 

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