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A Genève, Der Vampyr en liberté musicologique ?

Malgré d'importantes coupures infligées à la musique de cet opéra pour en faire un spectacle de Grand-Guignol, la production genevoise de Der Vampyr du compositeur allemand rencontre un succès mérité grâce au soin apporté à la réalisation musicale, orchestrale et vocale.

Cette coproduction du Grand Théâtre de Genève avec le Komische Oper Berlin soulève une question fondamentale concernant le respect des œuvres qui sont présentées au public de nos jours. Il est désormais entré dans les mœurs de l'opéra que beaucoup de metteurs en scène projettent leurs fantasmes personnels sur les scènes de nos théâtres. Avec les controverses que l'on sait. Mais, ont-ils pour autant le droit de dénaturer une œuvre lyrique dans sa musique, comme dans son livret, voire dans la finalité de drame original ? C'est pourtant la liberté que prend dans cette production. Des près de trois heures de musique d', il n'en offre plus que quatre-vingts minutes, avec bien évidemment autant de coupures du livret. Pour les raccords, il fait appel à , un jeune compositeur de 36 ans, qui opère des soudures musicales entre les différentes scènes restantes afin d'en « arrondir » les effets de surprise.

Reconnaissons toutefois au Grand Théâtre de Genève l'honnêteté intellectuelle d'afficher son Der Vampyr comme du théâtre musical d'après et non pas comme l'opéra romantique tel qu'écrit par le compositeur. Laissant à des instances plus autorisées le soin de trancher sur le bien-fondé de pratiques qu'on voudrait ne pas voir se généraliser, il faut bien admettre que le spectacle offert par le Grand Théâtre de Genève est cependant très réussi.

Dans un délire de sang et de lambeaux de chair virevoltants, le Grand-Guignol cher à nos ancêtres envahit la scène du Théâtre des Nations. La première scène (l'ouverture a été coupée, une spécialité du metteur en scène qui avait déjà fait de même dans sa première mise en scène d'opéra avec Guillaume Tell de Rossini à Munich en 2014 !) voit Lord Ruthven s'avancer à grands pas sur un praticable entourant la fosse d'orchestre et s'emparer d'une spectatrice du premier rang par les cheveux qui, hurlant se voit éventrée par l'effrayant personnage. Lui fouillant les entrailles, il en sort un amas de boyaux sanguinolents qu'il brandit en poussant un rire satanique. Traînant sa victime jusqu'au sortir de scène, les images sont si épouvantables qu'elles forcent l'incrédulité. On est immédiatement plongé dans les excès magnifiques du théâtre. Parce que le metteur en scène , issu du théâtre, sait admirablement diriger ses acteurs.

Et, sur scène, les protagonistes semblent y prendre un réel bonheur. D'autant plus que vocalement le plateau genevois est de très haut niveau. A commencer par (Lord Ruthven) admirablement satanique avec une voix puissante à la ligne de chant extrêmement sécure dont la présence scénique s'impose à tous instants. A ses côtés, le ténor américain (Sir Edgar Aubry) lui donne une éclatante réponse avec une remarquable clarté de timbre alliée à une toute aussi remarquable diction de la langue de Goethe. Du côté féminin, si la tenue vocale et théâtrale de la soprano (Malwina) est à la hauteur de sa réputation, le charisme de la mezzo-soprano (Emmy Perth) laisse une impression de fraîcheur et d'entregent bienvenus.

Dans la fosse, sous la baguette attentive et musicale de , l' en excellente forme nous fait découvrir une musique en total contraste avec cette fantasmagorie sanglante. Superbe, souvent immensément lyrique, la musique de Marschner offre des élans romantiques qu'on imagine mal comme une illustration des flots d'hémoglobine. C'est Mozart chez Dracula ! Sans jamais oublier un atome de musique, le s'offre lui aussi une partie de plaisir dans la théâtralisation de cette masse de zombies.

Crédits photographiques : © Magali Dougados

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