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A Berne, laborieuses Noces de Figaro

Une interprétation trop personnelle de la comédie de Beaumarchais par le metteur en scène embourbe cette production des Nozze di Figaro dans une vision laborieuse et dépourvue de l'humour, comme des enjeux amoureux, sociétaux et hiérarchiques du chef d'œuvre de Mozart.

Dix ans que les spectateurs bernois n'avaient plus entendu Le Nozze di Figaro de Wolfgang Amadeus Mozart dans leur théâtre d'opéra. C'est dire si cette production était attendue. Pour l'ouverture de cette saison, ce spectacle s'ajoutait à la rénovation des entrées de l'opéra ainsi que des sièges sensiblement plus confortables. Le programme annonçant l'assistance d'un conseiller linguistique pour la langue italienne, chose on ne peut plus rare dans les maisons d'opéra, confirme la recherche d'une qualité interprétative. Ainsi, on imagine que les protagonistes, dopés à une prononciation correcte de la langue de Dante, sauraient ce que raconte le livret. Que n'ait été cet avantage pour le metteur en scène !

En effet, l'intelligente mise en scène des Noces de Figaro par Stephan Müller de 2006 a ici été remplacée par la vision d'un qui, en s'appuyant sur des décors inefficaces mais spectaculaires (tiens ! on a ressorti les échelles, si prisées dans les mises en scènes d'il y a une quinzaine d'années !) s'empêtre dans un récit laborieux abandonnant les enjeux d'entre les personnages. Ainsi, l'aspect sociétal entre le Comte et Susanna n'est qu'à peine ébauché. La passion amoureuse de Cherubino pour la Comtesse se transforme en séance d'attouchements sexuels inaboutis entre lui, la Comtesse et Susanne. Sans parler de l'incongruité de la première scène de Figaro comptant des billets de banque tout en se préservant d'une situation scabreuse avec Marcellina (qui dans le livret s'avère être la mère de Figaro !) Alors qu'il n'existe presqu'aucun opéra où la musique et le livret ne sont aussi clairs que dans les Nozze di Figaro pourquoi donc vouloir à tous prix en changer l'esprit ? Pauvre et pauvre Mozart !

Avec des costumes manquant de couleurs, reste la musique et les chanteurs. Là, on ressent comme une impression de travail non-abouti à constater les nombreux décalages entre la fosse et le plateau. Si les cuivres du apparaissent souvent plus claironnants que musicaux, la direction du jeune chef manque de conviction. Autant l'an dernier, nous avions aimé son autorité et sa précision dans Salomé, autant son approche souvent bruyante et pas très musicale de ces Nozze di Figaro étonne.

Pour un opéra dont les airs sont aussi connus, il est frappant de constater qu'ils ne sont applaudis qu'en de rares occasions. La faute à une distribution souvent empruntée, voire mal préparée. A l'image du baryton (Figaro) dont les imprécisions rythmiques manifestes gâchent une voix par ailleurs bien timbrée. A ses côtés, la soprano française (Susanna), à la diction claire et à la voix pas encore totalement homogène s'applique avec un talent certain dans un rôle qu'elle doit encore affiner pour rendre son personnage plus charismatique.

Dominant le plateau, le baryton américain (Conte Almaviva) tient son rôle dignement imposant une distance sociale naturelle du personnage. Capable de varier ses couleurs vocales, sa diction soignée (avec quelques tous petits et charmants accents britanniques) contribue à l'excellente impression qu'il laisse tout au long du spectacle, même quand l'improbable « singe-araignée » Barbarina () lui saute dans les bras au grand dam de tout respect hiérarchique.

La jeune mezzo-soprano bolonaise (Cherubino) chante bien. Sa voix jeune sans acidité aucune, bien contrôlée même si elle semble craindre de laisser son instrument vocal s'exprimer plus librement.

Quoique chantant correctement, (Contessa Almaviva) – remplaçant la soprano géorgienne Sophie Gordeladze (souffrante ?) – ne convainc pas. Manquant de dignité, d'ampleur et de phrasé, la soprano russe ne parvient pas à imposer son personnage. Jamais elle n'apparaît amoureuse, jamais elle ne semble en colère, elle reste neutre comme indifférente à l'intrigue, voire à Mozart !

Toujours à l'aise sur scène, Andries Cloete (Bartolo) compose un personnage très vivant. Trop peut-être. Son aisance scénique lui fait prendre certaines attitudes, exécuter certains gestes (comme de goûter du bout des doigts la perruque de chacun des protagonistes) pouvant amuser la galerie aux répétitions mais n'ayant plus aucune signification lors du déroulement de l'intrigue.

En résumé, cette production se caractérise par l'absence de style tant musical que vocal. Mozart, c'est un style, c'est une manière de chanter et de jouer la comédie. Sans eux, on s'ennuie. Ainsi, tout au long du spectacle, le public ne répond que mollement à l'ambiance qu'un tel opéra suscite car il y manque la substance comique, théâtrale et musicale.

Crédit photographique : © Annette Boutellier

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