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Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak à la croisée des chemins

Un récital de est forcément un évènement car, nul n'étant prophète en son pays, les apparitions de notre ténor national ne sont pas si nombreuses à Paris. Avant de nous offrir son Don José dans une série de représentations très attendues à l'opéra Bastille, joint l'utile à l'agréable en proposant un récital avec sa compagne, la soprano polonaise . Une soirée entre éblouissement et frustrations.

Soulignons d'abord l'intérêt du programme qui sort des sentiers battus et propose autre chose qu'une succession de tubes avec notamment une belle mise en valeur du répertoire français, dont quelques airs souvent peu connus du grand public. L' ne bénéficie pas des plus belles sonorités pour valoriser ce répertoire mais après des débuts hésitants, il finit par se discipliner, notamment dans une ouverture du Roi de Lahore précise et scintillante. Hélas, même s'il reste attentif aux chanteurs, la direction de est souvent dénuée de poésie ou d'intensité, le comble étant atteint dans l'ouverture de Giovanna d'Arco où le chef semble confondre rythmique et fanfare militaire.

La première partie essentiellement consacrée aux opéras français laisse étonnamment le public assez éteint. Il est vrai que le duo extrait de Faust cueille les deux chanteurs à froid et fait d'emblée apparaître un déséquilibre entre la diction parfaite de et celle, plus perfectible, d', entre la simplicité et l'évidence d'approche de l'un et la sophistication de l'autre. L'aigu final est en outre mal négocié par les deux artistes pour qui l'on a le sentiment que l'air fut une épreuve. Le superbe duo extrait des Pêcheurs de perles de Bizet les trouve plus à leur aise mais confirme cette fébrilité.

Roberto Alagna est-il toujours un Faust idéal et est-elle déjà une Marguerite ? La question peut être posée car entre-temps les deux solos auront donné à entendre deux artistes à la croisée des chemins. Depuis sa Rachel dans La Juive d'Halévy à Munich, Aleksandra Kurzak marque son intérêt pour les rôles plus lyriques qui l'éloignent de sa zone de confort, plus légère. Évidemment, la soprano assume très proprement l'air d'Élisabeth de Valois dans le Don Carlo de Verdi mais qu'il nous soit permis de trouver ce choix un peu prématuré. La voix n'a ni l'autorité ni les couleurs qu'imposent un tel rôle de sorte qu'aucune émotion ne ressort de sa prestation. De son côté, Roberto Alagna a dû attendre des décennies pour prudemment aborder des rôles plus lourds comme Otello ou Samson mais le ténor est aujourd'hui bouleversant dans le « Vois ma misère » du dernier acte de l'opéra de Saint-Saëns, qu'il empoigne avec une vaillance extraordinaire. On peut aisément se dire qu'un tel répertoire lui est désormais accessible. Tout y est en place : une voix peut-être moins agile mais plus dense qu'auparavant, un art de la déclamation admirable, un phrasé d'une élégante simplicité, de sublimes couleurs. On ne sait pas encore si l'intégralité du rôle sera assumée par le ténor mais la contribution de Roberto Alagna au répertoire lyrique français est en tout cas suffisamment importante pour l'y encourager. Un moment magique et intense.

La deuxième partie suscite davantage l'adhésion. Dès le « Gia nella notte » d'Otello, les deux voix semblent être plus en phase. De fait, les interventions de Desdemona conviennent mieux à la soprano car les aigus peuvent s'épanouir dans une ligne de chant plus souple sans avoir à gérer une émission des graves trop importante. Roberto Alagna chante depuis longtemps cet air où la virilité conquérante se teinte d'une tendresse qui convient parfaitement à son élégant legato. Les deux voix se marient en outre très bien et le public frémit.

Avec le « E Lucevan le stelle » de Tosca, Roberto Alagna prouve que Cavaradossi ne l'a jamais quitté. De la douceur des premières phrases aux aigus forte, en passant par les graves désespérés, quel plaisir d'entendre que rien n'a été perdu de la vaillance et du style.

Aleksandra Kurzak trouve un meilleur écrin avec le fameux « Io son l'umile ancella » d'Adriana Lecouvreur qui, bien qu'il soit lui aussi un pari, est beaucoup mieux assuré. La soprano l'investit avec un engagement touchant et sans afféterie. Son beau phrasé s'accompagne d'aigus moins acides que dans la première partie, et les sons filés, splendides, sont reçus dans un silence religieux.

Pour achever le concert, les deux artistes ont choisi d'offrir un extrait de l'Elisir d'amore, œuvre qui a marqué leur rencontre professionnelle et sentimentale. Bien leur en a pris tant leur abattage et leur complicité emportent tout. La fraîcheur du timbre d'Alagna rencontre l'espièglerie et la pétulance d'une Kurzak ici souveraine, et leur numéro, d'une immense générosité, nous fait regretter les frustrations d'un récital qui ne les a pas toujours mis en valeur dans ce moment précis de leur carrière respective. Enfin, les deux bis (duo de La veuve joyeuse et le sempiternel « Brindisi » de La Traviata) recueillent l'approbation d'un public bon enfant mais indiscipliné tout au long de la soirée.

Crédit photographique : © DR / Théâtre des Champs-Élysées

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