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Wang et Kavakos en duo : la grâce opère

Piano et violon,  et à la Philharmonie : deux grands noms pour un récital hors pair.

Pour avoir maintes fois brillé sur des scènes prestigieuses, où leur talent a séduit, et ont mérité leur réputation de « stars » de la musique. Qui eût pensé, cependant, à assortir des individualités si différentes ? À deux instrumentistes réunis en duo, les qualités de soliste ne suffisent plus : pour que deux voix se fondent en une, il faut qu'advienne cette grâce spéciale qui jaillit du choc fructueux des personnalités, comme l'étincelle du silex. Le résultat de tels rapprochements a toujours quelque chose d'imprévisible ; mais ce soir, quatre sonates, d'à peu près tout style et toute époque, sont assez pour nous convaincre qu'entre le violoniste emprunté et la pianiste hardie, la grâce a opéré.

La sonate de Janáček donne d'emblée la mesure de la connivence musicale profonde entre les deux artistes. Là où la partition peut paraître fragmentée, ils restaurent une unité de ton qui met pleinement en valeur l'originalité de l'écriture du compositeur morave. étonne en particulier par son habileté à naviguer entre les plans sonores : elle réussit à timbrer avec élégance les traits pianistiques saillants (les moirures aiguës de la ballade, ou les fusées virtuoses du scherzo) tout en offrant au violoniste, sans jamais le couvrir, un cadre homogène où il puisse déployer ses propres sonorités. Et lorsque dans le finale, les rôles se renversent, Kavakos, avec un timbre de sourdine délicat, intercale avec tant de justesse, entre les phrases du piano, ses brusques envolées, que l'on ne peut s'empêcher de penser au cri rauque d'un désespéré.

De sommets en sommets

La réussite de la grande Fantaisie de Schubert n'est pas moindre. Dans ces pages d'une étonnante inventivité, la pianiste redouble de raffinement, et l'on goûte tout particulièrement le son aéré et vigoureux, sans violence, qui caractérise sa lecture de ce répertoire. Jamais en retrait, jamais excessivement présente, elle noue, avec le violon, un dialogue de chaque instant. Quant à Kavakos, ses aigus légèrement détimbrés peuvent parfois irriter, mais sa palette de nuances n'en est que plus vaste. L'irruption du violon dans les toutes premières mesures de la pièce est, à ce titre, splendide : pour un peu, le son qui émerge graduellement du silence semblerait venir des cieux…

Bartók a écrit sa propre sonate alors qu'il traversait une période « atonale », mais son langage âpre et rude n'égare pas plus les deux artistes que ceux-ci n'avaient sombré dans les sentiments faciles face au romantisme schubertien. S'ils peinent quelque peu à éclairer la construction de l'œuvre, jamais leur travail du timbre ne laisse à désirer. Mais au fond, c'est dans la brièveté volage de Debussy qu'ils excellent le plus : difficile d'imaginer interprétation plus piquante que celle où se conjugue la science du rythme de Wang et la virtuosité teintée d'ironie dont fait preuve Kavakos. Lorsque deux personnalités se complètent si bien, on ne peut que s'incliner, et applaudir.

Crédit photographique : © Benjamin Ealovega / Decca

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