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Flexible Silence, création de Saburo Teshigawara à Chaillot

Alors que nous évoluons dans un univers saturé de bruits, cherche à faire renaître le silence. À partir de musiques d' et de Tōru Takemitsu, Teshigawara s'interroge sur l'audible et l'inaudible, et crée une chorégraphie à la fois aérienne et terrestre, organique, dont chaque mouvement est la traduction corporelle de la musique. Un moment suspendu à la lisière du temps.

Le travail de , chorégraphe nippon qui marque de son empreinte la danse contemporaine depuis la seconde moitié des années 1980, est intimement lié à la musique. Flexible silence, pièce créée spécialement pour le théâtre de Chaillot, est née de la rencontre entre l'univers musical de Messiaen et celui du compositeur japonais Tōru Takemitsu, fervent admirateur de Messiaen.  Les solistes de l' interprètent ces œuvres sur scène.

Le lien entre danse et musique est palpable dès la première variation de Rihoko Sato, magnifique danseuse de la compagnie Karas de , devenue l'assistante du chorégraphe dans ses créations. La frêle silhouette de la danseuse aux cheveux grisonnants se plie, avec la souplesse d'un brin d'herbe agité par le vent, les bras légers comme un souffle d'air. Les danseurs sont parfois secoués par les accords effrénés de la musique, le corps pris de tremblements ; parfois ils évoluent au sol, comme des chrysalides qui n'ont pas encore achevé leur mue de papillon. La chorégraphie, à l'image de la musique, établit le lien entre l'air et la terre, le monde animal et le monde végétal. Les danseurs, traversés par la musique, sont comme un trait d'union entre ces univers. Chez Teshigawara, la danse donne à voir la chair de la musique.

Puis Saburo Teshigawara entre en scène, pour plusieurs solos. Le voir danser est fascinant : comme un caméléon, il se métamorphose, roseau ou cygne, faisant bouger isolément chaque articulation de ses jambes, pieds, mains ou bras. Contrairement à Rihoko Sato, qui est toute ondulation, rapidité, éphémère, lui ne se départit pas d'une certaine raideur, comme s'il symbolisait l'élément de fixité, de pérennité, dans un monde mouvant. Certains mouvements ou postures rappellent les arts martiaux, d'autres le hip-hop ; la rapidité des pieds évoque les claquettes mais toujours avec cette souplesse et dextérité qui le caractérisent.

La seconde partie est consacrée aux musiques de Takemitsu, qui mettent en relief les instruments les uns après les autres. Sur un magnifique piano solo, interprété par , qui fait surgir les silences de la musique et les étire à l'infini, Teshigawara danse dans des rais de lumières, passant de l'ombre à la lumière comme du silence au son.

Il effectue un autre solo dans le silence complet cette fois. L'œil du spectateur se focalise avec plus d'acuité encore sur les mouvements, qui cette fois sont scandés par la seule respiration du danseur. La dernière partie n'évite pas quelques longueurs toutefois et une certaine impression de répétition dans la succession des variations.

La sobriété des costumes, pantalons et T-shirt serrés noirs, et des décors, fait écho à l'intériorité profonde de cette pièce ; l'économie de moyens fait partie intégrante de l'esthétique quasi ascétique de Teshigawara.

Les danseurs, tous excellents de précision, de vivacité et de légèreté, évoluent ensemble mais sans jamais entrer en contact les uns avec les autres. À l'exception du dernier tableau, où Teshigawara et Sato marchent l'un vers l'autre sur un même rai de lumière et viennent poser chacun la tête sur l'épaule de l'autre, dans un geste de profonde tendresse, qui rappelle que l'humanité n'est pas absente de cet univers spirituel.

Crédits photographiques: Photographie n°1 : © Akihito Abe ; Photographie n°2 : © Karas.

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