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Renaud Capuçon en terres contemporaines

On le sait peut-être moins, mais le violoniste est un ardent défenseur de la musique d'aujourd'hui (lire notre entretien), qu'il joue toujours avec un investissement émotionnel presque supérieur aux œuvres du répertoire. Gourmand de créations, trois d'entre elles sont aujourd'hui proposées au disque. Elle sont signées par l'Allemand , et les Français et .

Chef de file de la « nouvelle simplicité », a conçu son concerto Gedicht des Malers (Poème du Peintre, 2015) comme un double portrait du légendaire violoniste Eugène Ysaÿe et du peintre expressionniste Max Beckmann, dont Ysaÿe appréciait le travail tourmenté et décadent. Dans cette nouvelle œuvre, le compositeur exploite spécifiquement la palette lyrique de au travers de paysages contrastés, dans une atmosphère baignée (un peu trop ?) par le souvenir du Concerto « à la mémoire d'un ange » d'Alban Berg. Des premières mesures diaphanes à de spectaculaires tutti en forme de murs de sons rayonnants, la palette de coloriste de Rihm trouve avec les Wiener Philharmoniker et de fiers avocats. Musicalement, on se souviendra en particulier d'un finale presque apaisé, bien que l'œuvre s'achève de manière ambivalente, sans en avoir l'air.

Dans la vie, est ami avec , et l'on perçoit particulièrement ces affinités dans l'enchaînement de leurs concertos respectifs. Les deux musiciens y partagent en effet un lyrisme presque vocal, notion au premier plan du concerto Aufgang (Élévation, création française en 2015) du compositeur français. Depuis 2008 et son opéra Passion, la musique de Dusapin prend une tournure plus intense et sensuelle, des mots caractérisant idéalement ce récent concerto pour violon. De facture toute classique en trois mouvements (modéré/lent/vif), on sera surtout resté saisi par la section centrale. Dans une mélodie infinie, le violon à la fois tourmenté et solaire de semble porté dans des limbes éthérées par un choral de cordes aux sonorités immenses, s'achevant dans des réverbérations quasi électroniques (harmoniques de tout l'orchestre à cordes augmentées d'une crotale jouée à l'archet). Conduit par la baguette « dusapinienne » experte de , le « Philhar » se montre en vrai orchestre de solistes dans cette œuvre en forme d'étude de masses et de transparences (écouter les fulgurances du I.), comme dans le poignant solo de flûte « quasi-sakuachi » de  dans le mouvement lent toujours.

Quant au concerto de Jeux d'eau (2012), il nous offre une musique typique de son compositeur (ici en compagnie de l'Orchestre de l'Opéra de Paris et à nouveau), dans un tournoyant jeu de timbres, où la fusion des sonorités de l'orchestre devient presque vertigineuse. Une sensation immergée dans ces cascades de gammes ascendantes et descendantes, signature du musicien. Dès les premières secondes et un morphing de mélodie de timbre entre hautbois, flûte, violon solo et clarinette, on est d'emblée plongé au fil de l'eau et de ses vicissitudes. L'on suit alors le violon ductile à la virtuosité jouissive frôlant la pyrotechnie, dans les méandres d'une orchestration miroitante où l'ornement (en 1/4 de tons) est roi.

Serait-on assez laudatif sur les interprétations au son ample et engagé, pleines de chair et de sang de Renaud Capuçon, comme on en entend encore peu dans des compositions actuelles ? De nombreuses autres œuvres d'aujourd'hui portées au concert par le violoniste attendent encore d'être gravées (avec une diversité esthétique impressionnante, du Concerto de Karol Beffa, au Mar'eh de Matthias Pintscher)… Espérons que l'appel soit entendu !

 

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