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À Berlin, triomphe retentissant pour la Médée de Reimann

Interprètes habités pour œuvre choc : le public berlinois fait une ovation mémorable à , compositeur majeur de notre temps.

La Komische Oper aime aussi l'opérette, mais l'atmosphère n'est pas ce soir à la gaieté : créée en 2010 à Vienne, la Medea d' est une œuvre noire, qui donne au mythe grec toute sa force tragique. Point d'enchantements comme chez Marc-Antoine Charpentier, point d'élégie amoureuse comme chez Luigi Cherubini : la Médée de Reimann est femme avant tout, étrangère avant même d'être magicienne. Reimann voit dans cet opéra le pendant féminin de Lear (1978), opéra le plus souvent repris de ses neuf ouvrages lyriques. On retrouve dans Medea une atmosphère commune, oppressante, un orchestre en perpétuelle explosion, une expressivité vocale hors norme. Medea s'en distingue seulement par son économie de moyens : les effectifs orchestraux restent plantureux, mais le drame est limité à six personnages et à deux petites heures de musique.

L'art de la tragédienne

Le public berlinois fait un triomphe au spectacle, très loin des succès d'estime fréquents pour l'opéra contemporain, et ce triomphe est en tout point mérité. , présent ce soir, en a naturellement sa juste part, mais le théâtre s'enflamme aussi pour l'interprète du rôle-titre, , qui livre une performance d'une brûlante intensité théâtrale et musicale. Elle est aidée par , avec lequel elle développe un personnage que le désespoir mène aux portes de la folie, intensément physique, en contact avec les forces telluriques. Mais le plus impressionnant n'est pas même là : elle s'empare avec un naturel confondant de l'écriture vocale périlleuse de Reimann, aussi éloignée du style Pelléas que des grandes phrases post-romantiques : il parle de colorature, mais ce ne sont pas tant des grandes vocalises qu'une écriture mélismatique où chaque syllabe ou presque est diffractée en deux notes ou plus. C'est inhabituel, terriblement difficile, mais immédiatement convaincant. Le grand monologue de Médée avant l'entracte est un moment de théâtre musical comme on en voit peu.

, on s'en souvient, a récemment fait parler de lui avec un bouleversant Ange de feu de Prokofiev, à la Komische Oper et à Lyon. Cette seconde production berlinoise parvient aux mêmes sommets, avec une scène beaucoup moins encombrée : des fils, que Médée coupe à la fin de la pièce, dessinent la forme d'une maison, le sol est recouvert d'une épaisse couche d'écorces façon humus dans laquelle elle enterre ses possessions, Toison d'or comprise ; pour le reste, on voit la scène du théâtre dans toute sa nudité. Andrews mise donc sur la direction d'acteurs, en limitant les apports extérieurs à des signes rares mais lisibles et efficaces : aussi loin d'un naturalisme qui rendrait quotidiens les personnages que du hiératisme dans lequel on aimait autrefois enfermer la tragédie grecque, Andrews fait preuve d'une invention stupéfiante pour donner à chaque moment, à chaque émotion, sa forme matérielle aussi prégnante que limpide.

Si exceptionnelle que soit la performance de , le spectacle vaut aussi par ce qui fait la force de la Komische Oper : la cohésion du travail d'équipe. Membre de la troupe comme Chevalier, impressionne en Jason, et le héraut, que Reimann a confié à un contre-ténor pour le situer dans une toute autre sphère que les personnages du huis clos, trouve un interprète idéal avec . L'orchestre maison, il faut bien le dire, est beaucoup plus à son aise ici que la veille dans Zoroastre de Rameau : la Komische Oper ne se contente pas de programmer de l'opéra contemporain, elle le fait aimer à ses troupes comme au public.

Crédits photographiques : Medea de Reimann sous la mise en scène de © Monika Rittershaus

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