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Provence et Languedoc dans la production lyrique au temps du Félibrige

Fruit d'un colloque qui s'est tenu à Saint-Étienne puis à Nîmes, convoquant musicologues et historiens, cet ouvrage collectif publié sous la direction de Jean-Christophe Branger et Sabine Teulon Lardic s'interroge sur l'importance qu'a pu prendre le « Midi » (entendez la Provence et le Languedoc) au sein de la production lyrique nationale entre 1850 et 1912, à une époque où Nietzsche, exhortant ses contemporains à se détacher de Wagner, déclare « qu'il faut méditerraniser la musique ».

Les trente-cinq titres répertoriés en annexe, couvrant plus d'un siècle de création (1802-1924), disent l'importance d'un corpus d'œuvres (opéras, drames lyriques, opéras comiques, musiques de scène…) qui situent leur action et s'ancrent d'une façon ou d'une autre dans les terres du « Midi ». Si certains ouvrages sont restés dans l'ombre, souvent parce qu'ils n'ont pas pu gagner la scène parisienne, la question est de savoir quelles réalités ils recouvrent et en quoi ils témoignent des courants idéologiques de leur temps, à l'époque du Félibrige (1854) qui secoue le régionalisme et de la défense du patrimoine latin face à l'hégémonie allemande. Autant de questions soulevées par les deux historiens Philippe Martel et Robert Chamboredon avant d'aborder les œuvres proprement dites, exemples musicaux à l'appui.

Avec Mireille d'abord, pierre d'angle du corpus, créé à Paris le 19 mars 1864 au Théâtre lyrique. C'est à Saint-Rémy-de Provence, « dans le voisinage de Frédéric Mistral » nous dit Gérard Condé, que Gounod décide d'écrire son opéra, confiant à son librettiste Michel Carré le soin d'adapter en français le poème épique Mireio du fondateur du Félibrige. L'auteur retrace les étapes d'un travail effectué « d'après nature », au fil de la correspondance de Gounod, avec son épouse notamment. Beaucoup moins connu est l'Héliogabale de , « tragédie romano-languedocienne » sur un livret d'Émile Sicart donnée en plein-air, devant 15000 personnes, dans les arènes de Béziers en août 1910. Se penchant, comme Cavalli avant lui, sur la destinée tragique de cet empereur syrien, le compositeur, félibre lui-aussi, écrit une musique profondément marquée par les traditions du sud-ouest, utilisant notamment les instruments de la Cobla catalane.

Bien d'autres ouvrages, que cette étude donne envie de découvrir, s'inscrivent dans « l'aire linguistique d'oc » : « Signifiants verbaux, costumes, intrigues, personnages participent à l'ancrage provençal » écrit Sabine Teulon Lardic s'agissant des Absents du nîmois Ferdinand Poise d'après la pièce d', un opéra qui sera créé à l'Opéra Comique en 1864. La musicologue revient sur ce qu'elle nomme « la croisade culturelle du félibrige » et signale l'importance des Expositions universelles de 1878 et 1889 ainsi que la création d'un musée ethnographique éveillant l'intérêt pour « les musiques pittoresques ».

Dans la troisième partie de l'ouvrage – Traverser les genres – elle s'intéresse à la chanson « provençale », « écologie de l'opéra comique méridional(iste) » titre-t-elle. Si Les Dragons de Villars d'Aimé Maillart et Belzébuth ou Les jeux du roi René de (créé à Montpellier) inscrivent leurs sujets et leurs personnages dans les lieux et l'histoire du peuple occitan, Les Barbares sont un récit de l'histoire antique d'Orange, commande du chancelier du Félibrige Paul Mariéton à Saint-Saëns. À travers la glorification de l'époque romaine, l'enjeu est de concrétiser le projet d'un « Bayreuth français » à l'instar des Arènes de Béziers. On se régale de lire les lettres suppliant le Maître d'accepter la commande d'un ouvrage destiné au plein-air, après le refus catégorique de Massenet. Sauf que le projet ne pourra aboutir faute de moyens financiers de la région, la tragédie lyrique étant finalement créée à Paris en 1901.

Après et son Arlésienne, c'est sous l'angle de la mise en scène que sont abordés les deux opéras Sapho et Grisélidis de , dans une dernière partie très illustrée – Peindre et mettre en scène la Provence et le Languedoc – s'intéressant aux décors, costumes, affiches et champ pictural (de la campagne méridionale aux rivages antiques). Le chapitre est introduit par un superbe feuillet iconographique en couleurs : un atout supplémentaire pour cette publication riche d'enseignements et remarquablement conduite où, comme dans Mireille, « on respire l'âme du Midi aimé ».

 

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