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Décevant King’s College Choir dans Vaughan Williams et Bernstein

Basses eaux à Cambridge : le célèbre King's College Choir publie sur son propre label un album placé sous le signe de la paix, réunissant deux pages monumentales signées Vaughan Williams et Bernstein. Las ! Au-delà de louables intentions, humanistes ou musicales, cet enregistrement nous semble peu digne du passé prestigieux et la réputation de la royale institution.

fut brancardier puis artilleur durant la Grande Guerre : les horreurs qu'il y a vécues ont fait de lui un pacifiste certes conditionnel, mais convaincu. Au moment où les nuages s'amoncellent au-dessus de l'Europe politique au fil des années trente, le compositeur britannique y va de son manifeste avec cette cantate Dona nobis pacem, vaste fresque chorale et orchestrale où sous les auspices de la conclusion de l'ordinaire de la messe latine, figure un habile montage d'extraits de l'Ancien Testament, de poèmes de Walt Whitman et d'un fragment de discours du député radical John Bright. Ce propos compilatoire annonce le profil du War Requiem de Britten (vingt-cinq ans et un nouveau conflit mondial plus tard), mais ici tout baigne dans un climat de totale incertitude historique : on songe à l'angoisse qui pointait au terme de l'Agnus Dei de la « Missa in tempore belli » (Pauken-messe) de Joseph Haydn ou de la Missa solemnis de Beethoven. À l'inverse, les Chichester Psalms de (1965), œuvre de commande pour le festival du même nom, célèbrent la félicité et la joie de la paix retrouvée et savourée, avec une expansivité presque gourmande qui n'empêche nullement le recueillement ultime : ce n'est sans doute pas la plus significative des pages chorales du compositeur-chef d'orchestre (plutôt à chercher du côté de sa troisième symphonie « Kaddish » ou de sa Mass), mais de loin la plus souvent jouée !

Par la carrure de son effectif et ses pupitres colorés, mais fragiles, de trebles jeunes garçons (pour les voix les plus aiguës), le King's College Choir ne pouvait se frotter aux versions originales des deux partitions ni rivaliser avec un imposant orchestre symphonique. Dans cette optique, a prévu une rédaction alternative, ici retenue, des Chichester Psalms (réduction de la partie d'orchestre pour orgue, harpe et percussions). Le King's College Choir, à la prononciation hébraïque erratique, s'y ébroue de manière brouillonne ; le pupitre de ténors en particulier est bien mal à son aise ! Tout aussi défaillant nous apparaît le petit George Hill, treble solo de la section centrale. La direction mollassonne de , sans aucune carrure agogique, s'enlise dans les méandres de la partition avec une tiédeur médiane assez indifférente. Pour trouver le sens du rebond rythmique ou de l'élan festif, tout comme l'atmosphère raréfiée des ultimes mesures, autant écouter Lenny lui-même dans la version avec grand orchestre, à la tête du Wiener Jeunesse-Chor et de l'Orchestre philharmonique d'Israël (DG).

Le chœur britannique a commandé à Jonathan Rathbone la présente « ré-orchestration » pour effectif réduit du Dona nobis pacem de Vaughan Williams, véritable standard du chant choral symphonique outre-Manche et plat de résistance du programme : avouons-le, cette inutile nouvelle mouture frise le total contresens car elle gomme les saisissants contrastes de cette fresque composite, mais grandiose, et toutes les saveurs orchestrales de la version originale dues à la plume d'un orchestrateur-né ! Le malingre , pas toujours très impliqué, n'a de plus absolument pas la puissance de feu voulue. Côté chœur, le manque de cohésion des pupitres est de nouveau assez indigne de la réputation de l'ensemble prestigieux. Et à vrai dire, les timbres angéliques des voix d'enfants dénaturent complètement le propos de l'œuvre : il s'agit quand même d'un plaidoyer pour la paix fait de chair et de sang, évoquant la gloire de l'Homme malgré les misères de la guerre, destiné à des choristes adultes pleinement conscients du drame absolu qui s'y joue (en particulier dans le mouvement inspiré d'un poème de Whitman, Dirge for Two Veterans). se contente d'une mise en place placide, voire timorée et académique, là où Sir Adrian Boult (référence quasi mythique, chez Warner), Bryden Thomson, dans une option très symphonique (Chandos) ou Richard Hickox, dans une approche plus chorale (Warner, série british composers) saisissaient l'auditeur à la gorge. Côté solistes, si tire plutôt bien son épingle du jeu, sans avoir bien entendu l'abattage d'un Bryn Terfel (dans la version de Richard Hickox), que dire des assez malheureuses interventions de la soprano à l'improbable vibrato, hors de propos si l'on songe aux angéliques et consolatrices implorations d'une Edith Wiens (avec Thomson) ou d'une Yvonne Kenny (avec Hickox) ?

Bref, un disque bien décevant et dispensable, compte-tenu de la discographie réduite, mais de qualité, de ces deux œuvres.

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