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Vasco de Gama rayonne sur la galaxie à l’Oper Frankfurt

Pour la troisième fois et encore en Allemagne est reprise la nouvelle édition critique de L'Africaine de Meyerbeer, aujourd'hui à l'Oper Frankfurt. Sans les retouches de Fétis effectuées juste après la mort du compositeur, l'ouvrage reprend le titre plus juste de Vasco de Gama, mais part cette fois dans l'espace avec la mise en scène de Tobias Krätzer, qui utilise des images communes avec la récente Bohème de Claus Guth pour Paris, tandis qu'en l'absence de la mezzo-soprano Claudia Mahnke, la distribution est portée par le ténor .

Preuve du dynamisme musical de l'Allemagne, la nouvelle édition critique du dernier opéra de Meyerbeer créée en 2013 à Chemnitz a déjà été remontée dans une autre production en 2015 à la Deutsche Oper Berlin (avec Alagna, Koch et Machaïdze) et trouve cette saison une troisième mise en scène grâce à l'Oper Frankfurt. Et ce alors que dans le reste du monde cette dernière décennie, on cherche difficilement quelques représentations de L'Africaine, la meilleure ayant sans doute été entendue à La Fenice dans une version retouchée et dirigée par l'excellent chef Emmanuel Villaume, avec Gregory Kunde et Jessica Pratt en scène.

Dans la plus grande ville du Land de Hesse, la mise en scène de Vasco de Gama revient à un habitué de Meyerbeer, puisque a déjà proposé pour Karlsruhe sa vision du Prophète, puis pour Nuremberg et Nice Les Huguenots. Il aborde donc à nouveau Meyerbeer, avec cette fois une proposition transposée dans la découverte de terres inexplorées de l'espace plutôt qu'en Inde. Ainsi les amateurs de la mise en scène de Guth pour  La Bohème à Paris peuvent retrouver ici la même image de l'astronaute regardant l'infini par la grande baie vitrée de son vaisseau, tandis que deux cosmonautes lui font des signes par la vitre. Comme à Paris, des huées et des rires se font alors entendre lorsque ce parallèle avec 2001, L'Odyssée de l'Espace de Stanley Kubrick est jugé trop décalé ; les clameurs sont toutefois plus calmes qu'en France, car l'adéquation avec le livret semble meilleure.

Loin de la tentative d'explication du passé liée au rêve par l'asphyxie et l'apparition des fantômes du Solaris de Stanislas Lem, et même si le décor de pour Kratzer est nettement moins somptueux que celui d'Étienne Pluss pour Guth, la démarche de transposition dans l'espace se montre ici plus pertinente. Avec un livret totalement romancé d'une partie de l'épopée de Vasco et à une époque où la surface de la Terre ne présente plus de parties invisibles pour les scientifiques, l'explorateur n'a plus le choix qu'entre les profondeurs et l'espace. Pour autant, ces images futuristes ne font qu'appuyer le livret sans le transcender, et servent surtout à occuper visuellement lorsque la musique montrent ses quelques longueurs pendant près de cinq heures – avec deux entractes.

Les esclaves deviennent alors de petits hommes bleus dont la parenté avec les Na'vi d'Avatar est évidente. Cela implique donc tout de même une idée intéressante : puisque les Na'vi ont un mode de vie en parfaite symbiose avec leur environnement, Kratzer soumet l'idée que le peuple primitif découvert par Vasco était beaucoup plus respectueux que celui « civilisé » de nos sociétés occidentales, et qu'aujourd'hui cette même société de découvreurs ne respecte toujours pas sa planète. À cette notion s'ajoute également celle de la place de l'homme dans le cosmos avec l'utilisation récurrente de la Plaque de Pioneer, envoyée deux fois hors du système solaire en 1972 et 1973 sur les sondes Pioneer 10 et 11. On renverra le lecteur souhaitant s'amuser du sujet vers la pièce de théâtre LExoconférence d'Alexandre Astier, avant de nous concentrer sur la distribution.

Malheureusement, Meyerbeer est encore trop rarement appris et Claudia Mahnke, malade, n'a pu être remplacée, seules deux autres mezzo-soprano – dont Sophie Koch – connaissant le rôle. Pour éviter le même sort qu'aux Huguenots de l'Opéra du Rhin en 2012, annulé sur les dernières représentations faute de ténor remplaçant, on a donc recours à Francfort au subterfuge d'une chanteuse avec pupitre à droite de la scène, pendant qu'une actrice joue le rôle en scène. La jeune , déjà Anna dans la production berlinoise, chante donc la longue partition de Selika, tandis que sur scène ce rôle est mimé par l'actrice . Ce sauvetage est à louer, car la beauté du timbre d' sur toute la largeur du spectre s'accorde avec une superbe modulation des coloris et avec l'une des seules prononciations françaises intelligibles du plateau.

L'autre amante de Vasco, Inès, est campée par la soprano , moins compréhensible mais elle aussi d'un timbre très agréable, plus dans le médium que dans l'éclat à l'aigu, en plus d'une belle gestion de la ligne de chant. Anna revient à une mezzo attirante vocalement autant que bien présente scéniquement grâce à la jeune Bianca Andrew. Côté masculin, en Nelusko est très applaudi aux saluts, mais la tentative isolée d'un spectateur de crier bravi après la grande ballade du IIIe acte tombe à l'eau. Se démarquent également les graves du Grand Inquisiteur puis Grand Prêtre de Brahma de la basse , ainsi que les voix parfaitement projetées, elles aussi en clé de fa, du Don Pedro d'Andreas Bauer et du Don Diego de .

Le premier intérêt de cette production est que le rôle-titre est tenu par le ténor . Pour s'accorder à la voix qui a créé le rôle (Emilio Naudin) cette partie n'est pas donnée à un ténor lourd, mais à un mozartien et belcantiste, qui tente toutefois d'élargir son répertoire, puisqu'il a notamment triomphé en Énée à Strasbourg il y a un an dans Les Troyens. Il ne peut à Francfort faire exploser le chant par le volume ni faire oublier l'exceptionnel timbre de Roberto Alagna, mais apporte au personnage une véritable douceur en plus d'un légato et d'un style coloré très français, auquel manque juste la brillance de l'aigu.

Le chœur et les autres rôles secondaires sont tous bien tenus par les chanteurs maison, tandis qu'en fosse le chef gère le Franfurter Opern- und Museumsorchester sans réussir à vraiment l'alléger ni à lui instiller toute la palette de modernité et d'orientalisme composée par Meyerbeer. Le superbe solo de hautbois en ouverture de l'acte III, qui inspirera Tchaïkovski et Moussorgsky dans leurs propres ouvrages lyriques, est malheureusement gâché par les rires dus à la mise en scène, et le duo du IV manque de sensualité pour exalter tout à fait cette intéressante soirée.

Crédits photographiques : © Monika Rittershaus

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