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Blanche Selva revit et rayonne dans une réédition au disque

Le label français Solstice, géré de main de maître par François et Yvette Carbou à qui nous devons tant d'admirables réalisations, nous gratifie d'une édition définitive des vénérables gravures 78 tours Columbia de 1929-30 accomplies par .

Il est des réalisations rares qui imposent vraiment l'admiration et le respect, et celle-ci en est une, qui restitue dans toute sa vérité artistique l'art d'une interprète d'exception : la fascinante pianiste française (1884-1942), et cela malgré la fragilité acoustique des quelques documents sonores qui nous sont parvenus. Tout est impeccable dans cette édition du label français Solstice, depuis la présentation d'un goût parfait, les textes éclairants d'Yvette Carbou, Gilles Saint-Arroman et elle-même, jusqu'aux transferts exceptionnels de clarté des 78 tours par Christophe Hénault et son équipe technique (et musicienne !) du Studio Art et Son, qui avaient déjà réalisé un travail sensationnel de qualité pour Erato/Warner concernant l'intégrale orchestrale André Cluytens.

Née française d'un père catalan le 29 janvier 1884, Marie Blanche Selva est connue en Catalogne sous le nom de Blanca Selva i Henry. Cette merveilleuse musicienne exceptionnellement douée et diplômée du Conservatoire de Paris dès juin 1896 (à 12 ans !) se consacra corps et âme à la musique, sans aucun compromis. Les cours qu'elle suit en 1900 à la Schola Cantorum de Vincent d'Indy qui lui témoigna une grande amitié et l'y nomma professeur de piano en octobre 1901, ses autres nominations comme professeur de piano au Conservatoire de Strasbourg en juin 1919 par Guy Ropartz, comme professeur associé à l'École des Maîtres du Conservatoire de Prague en octobre 1920, sa participation à l'École Normale de Musique créée en 1919 et dirigée par Alfred Cortot, ses Cours d'été donnés jusqu'en août 1928 à son Mas del Sol à Brive, sa co-fondation avec le violoniste catalan de l'Academia de Musica de Barcelona en 1929, tout cela indique les jalons de sa carrière d'exception et ses enthousiasmes : France, Tchécoslovaquie, Catalogne.

Son répertoire était immense, et en plus de jouer admirablement les grands classiques (première femme à donner en France l'intégrale de l'œuvre pour clavier de Bach, et celle des 32 Sonates de Beethoven à Barcelone), elle défendit ardemment les compositeurs de son temps, qui la vénéraient : Isaac Albéniz, Pierre de Bréville, Paul Dukas, Georges Enesco, Gabriel Fauré, , Vincent d'Indy, Paul Le Flem, Albéric Magnard, Georges Martin-Witkowski, Georges Migot, Roger-Ducasse, Guy Ropartz, Albert Roussel, son grand ami , Florent Schmitt, sans compter des compositeurs tchèques (Smetana, Dvořák, Vítězslav Novák, Josef Suk) et catalans, et bien d'autres oubliés de nos jours.

Sa Partita n° 1 BWV 825 de Bach égale celle de Dinu Lipatti enregistrée 20 ans plus tard ; son Prélude, Choral et Fugue de Franck surpasse en maîtrise celui, contemporain, d'Alfred Cortot (jamais Prélude, et surtout Choral n'ont atteint cette profondeur…) tandis que la Sonate pour violon et piano, toute frémissante avec son merveilleux partenaire , domine aisément celle du duo Cortot-Thibaud, et la Sonate pour violon et piano « Le Printemps » de Beethoven, par sa liberté de ton dénuée de tout effet extérieur, atteint les mêmes cimes… Ses – son musicien de cœur – sont absolument précieux, et pas seulement en tant que premiers témoignages enregistrés de l'œuvre de cet incomparable compositeur si attaché à son terroir languedocien. En parallèle à cette écoute absolument gratifiante, nous ne pouvons que conseiller la lecture de l'excellent ouvrage Blanche Selva – naissance d'un piano moderne.

Signalons enfin que si la plupart des reprises sont omises dans la Partita n° 1 BWV 825 de Bach, très probablement pour des raisons de mise en faces 78 tours, celle du premier mouvement Allegro de la Sonate pour violon n° 5 op. 24 « Le Printemps » de Beethoven est respectée, fait très rare à l'époque.

Une très grande dame du piano, enfin servie par une édition de grande classe à la hauteur du propos, rendant ainsi pleinement justice à cette musicienne exemplaire, disparue dans la solitude et le dénuement, et bien trop vite oubliée…

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