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Le XXe siècle en cage par Andrea Breth à Stuttgart

En rapprochant Il Prigioniero de Dallapiccola et Das Gehege (L'enclos) de , affronte la part la plus sombre de l'opéra contemporain.

Créé à Bruxelles il y a quelques mois, le diptyque consacré par au thème de l'enfermement arrive aujourd'hui à Stuttgart, qui en était le coproducteur. La soirée commence avec Il Prigioniero de Dallapiccola, créé en 1949, qui adapte un des Contes cruels de Villiers de l'Isle-Adam, La torture par l'espérance. Il va de soi que ce récit, qui se place dans une image cauchemardesque de l'Espagne de Philippe II, est à lire dans la perspective inévitable de la double décennie fasciste ; mais Breth se méfie de toute référence explicite à un contexte historique : ce qu'elle prend au sérieux, c'est l'enfermement du prisonnier, le délire d'espérance que le simple mot du geôlier, « Frère », suscite en lui. , interprète toujours charismatique de la musique contemporaine, en est l'incarnation idéale, d'abord enfermé dans sa propre cage, puis circulant entre les cages qui envahissent toute la scène. Celle-ci reste constamment sombre, de brèves scènes fantomatiques étant séparées par des noirs ; au lever du rideau, seule la tête de la Mère du prisonnier est visible au milieu de la scène : la force de profération que ce simple dispositif produit est glaçante.

Il fallait bien ensuite un (trop long) entracte pour créer une rupture avec l'œuvre de Rihm – Breth crée bien un diptyque, non une unité comme pouvait le faire Krzysztof Warlikowski avec Poulenc et Bartók. Le court opéra de Das Gehege (L'enclos) a été créé d'abord à Munich comme une sorte de prologue à Salome de Strauss, pour une mise en scène très oubliable du cinéaste William Friedkin : l'étreinte fantasmée entre une femme et un aigle dans un enclos de zoo offre un parallèle évident avec la confrontation de la princesse Salomé et de Jochanaan, mais le texte de Botho Strauß que Rihm reprend tel quel a un arrière-plan politique. L'aigle que le monologue du personnage féminin appelle à elle est le fantasme d'une révolution conservatrice, d'un retour à un ordre ancien – « Où est ton image double ? », lui crie-t-elle, où est l'aigle double qui était le symbole de l'Empire médiéval comme de l'Empire des Hohenzollern ? Strauß, devenu avec le temps un des principaux intellectuels conservateurs d'Allemagne, y fait moins la critique un peu facile du manque d'appétit intellectuel de ses contemporains que le constat, cruel pour son propre camp, de la désorientation de ceux-là même qui veulent retourner en arrière : où est-il donc, ce chemin vers le bon vieux temps ?

Le texte que Rihm prend ainsi en charge est d'une densité telle que, il faut bien le dire, l'intérêt intellectuel critique qu'il peut susciter n'est pas nécessairement simple à faire passer sur une scène d'opéra. Dans l'austérité des moyens qui est la sienne, ne donne pas beaucoup de clefs de lecture pour les idées ambiguës de Strauß ; elle montre la Femme (alter ego de celle d'Erwartung de Schoenberg) se revêtir des oripeaux de l'aigle, incarné tour à tour par les protagonistes de l'opéra précédent, victimes comme bourreaux. Il y a une sorte de cannibalisme (vain) dans la réappropriation d'un passé impensé que cette femme entreprend. Chez Breth, ce pessimisme contemporain est sans doute plus tourné vers la difficulté d'être que vers le conservatisme à la mode.

L'orchestre de l'Opéra de Stuttgart, dirigé par , est parfaitement à l'aise dans ces partitions exigeantes. Il est d'autant plus regrettable que la seconde pièce soit gâchée par le choix de la soprano Ángeles Blancas Gulín. La partition avait été créée par Gabriele Schnaut, artiste singulière avec un sens acéré pour les détours ironiques et la force des mots ; sa collègue, ici, reste constamment dans le forte, sans nuances, avec un timbre strident qui nuit beaucoup à la compréhension directe du texte. Le public l'ovationne, parce qu'un tel monologue de quarante minutes est naturellement une prouesse, mais elle n'est pas à la hauteur de la partition de Rihm, et encore moins des ambiguïtés créatrices du texte.

Crédits photographiques : © Bernd Uhlig

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