- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Passe ton Bach d’abord, le Cantor star à Toulouse

Le festival célébrait cette année son dixième anniversaire avec faste et enthousiasme sur le thème « Flash Bach » en invitant à nouveau des artistes qui en ont fait les grandes heures. La seule condition était la créativité et d'offrir des propositions nouvelles.

Face à l'engouement grandissant du public, , l'infatigable flûtiste, chef de l' et initiateur de ce festival atypique, voulait offrir une nouvelle chance à ceux qui avaient manqué tel ou tel artiste dans les éditions précédentes. Pas sûr que ce pari là soit gagné, car une fois de plus, malgré la multiplicité des propositions, tant dans le répertoire baroque que ses correspondances en musiques actuelles, chaque événement affiche complet et les spectacles d'ouverture et de clôture se jouent à guichets fermés. C'est dire la curiosité et la passion que suscitent la personnalité et l'œuvre de l'austère Bach, qui selon , serait le premier étonné de ce succès universel. N'oublions pas qu'à Leipzig, le maître de la fugue et du contrepoint était plus considéré comme organiste que comme compositeur.

Danse avec Goffriler

La violoncelliste ouvre le bal d'une façon originale. Seule en première partie, elle met en perspective le célèbre Prélude de la Deuxième Suite et la Troisième Suite de Bach avec une pièce de Les Ombres de Giverny, qui dialogue plus avec Bach qu'avec les impressionnistes français. Cette passacaille inspirée par Sebastien et les compositeurs français du grand siècle, également structurée pour la danse, s'insère naturellement entre les deux piliers bachiens, sorte d'abécédaire du violoncelle. Mais la surprise vient dans la seconde partie avec l'entrée du danseur . Sur des accents de Bach, du Chant des oiseaux de Pablo Casals ou de Carmen, il fait beaucoup plus qu'évoluer autour d'. Il joue avec elle, devenant à son tour instrument, chantant et se lançant avec son compère dans une incroyable chorégraphie très élaborée où le violoncelle devient lui même le personnage central de leurs évolutions. Une merveille qui enflamme le public de l'auditorium Saint-Pierre des Cuisines. Et il vaut bien cet hommage, ce fameux instrument de Francesco Goffriler, qui avait été volé à Ophélie Gaillard, il y a quelques mois puis restitué 48 heures plus tard à la suite d'une mobilisation sans précédent des médias et des réseaux sociaux.

La journée du samedi et dans une moindre mesure celle du dimanche constituent un vaste marathon musical où de brefs concerts se superposent en divers lieux où il est recommandé d'arriver 45 minutes à une heure avant chaque événement, tant les files d'attente sont impressionnantes. C'est donc tout un art de composer son programme et son itinéraire… Les ensembles renommés côtoient les amateurs, les grands solistes croisent les élèves du conservatoire, ainsi que les ensembles de musiques actuelles, tous au service du grand Sebastien. C'est donc au Café côté cour de la librairie Ombres Blanches, émanation du fameux Café Zimmerman, que la classe de musique de chambre baroque du conservatoire à rayonnement régional de Toulouse donne la Sonate en trio de L'offrande Musicale, ainsi que le Sixième Quatuor parisien de Telemann. Aisance, souplesse, respiration des phrasés, on peut dire que la relève est assurée.

De motets en sonates baroques

Plus tard, la belle église à deux chœurs Saint-Pierre des Chartreux accueille la réunion de deux ensembles vocaux, le Chœur Baroque de Toulouse et le chœur participatif catalan Bach zum mitsingen pour de redoutables motets de deux générations de Bach. Belle histoire parallèle que celle de ces deux ensembles puisque comme l' avec les Cantates sans filet, le BZM interprète l'intégralité des cantates de Bach à Barcelone et il y a fondé en 2013 le festival Bachcelona. À une cinquantaine de chanteurs en deux chœurs, ils interprétent les difficiles Komm, Jesu, komm et Fürchte dich nicht de Sebastien sous la direction de et le même texte Fürchte dich nicht (ne crains rien, je suis à tes côtés) de , l'oncle que Sebastien appelait «le Bach profond », qui l'avait recueilli à la mort de ses parents et parachevé son éducation musicale, dirigé par . D'une belle justesse dans ces œuvres intimistes, la masse chorale sonne selon une homogénéité remarquable avec une fine articulation des voix restituant la polyphonie, parfois même en écho entre les chœurs multiples. Du grand art dans un exercice périlleux.

C'est dans la magnifique chapelle baroque des Carmélites que se produit pour la première fois au festival l'ensemble La Fenice en formation de quatuor. Un retour aux sources pour son chef le flûtiste et cornettiste , toulousain d'origine, qui y apprit le cornet à bouquin avec Jean-Pierre Canihac. Avec la violoniste Sue-Ying Koang, la violoncelliste Keiko Gomi et le claveciniste Mathieu Valfré, le souffleur virtuose alterne entre deux flûtes à bec de hauteurs différentes et le cornet à la sonorité si chaleureuse. Deux magnifiques sonates de Rosenmüller, qui fut actif à Leipzig une génération avant Bach, encadrent des sonates en trio de Sebastien et son fils Carl Philipp Emmanuel. On reconnaît une étonnante et réjouissante transposition pour trio des Variations Goldberg, dont l'aria est entonnée au clavecin avant que les cordes ne varient ensuite à plaisir. Un beau moment de pureté musicale.

Fantaisies pour l'

À côté de nombreux invités, l'Ensemble Baroque de Toulouse est sur tous les fronts. Il remplit la vaste salle du Théâtre National de Toulouse le samedi soir pour La Caravane Baroque, un programme jubilatoire à travers le répertoire de l'ère baroque vocal et instrumental. Tubes et timbres des XVIIe et XVIIIe siècles, se succèdent et se mêlent à plaisir avec quelques pépites moins connues, où l'orchestre et quatre solistes vocaux s'en donnent à cœur joie. D'ailleurs, Michel Brun explique que la musique baroque est souvent canaille, venant en grande partie de la rue, comme les chorals luthériens proviennent pour la plupart de chansons d'amour, avec une grande liberté laissée aux interprètes et une part certaine à l'improvisation, comme en jazz. Le programme n'a pas été distribué à dessein et tout au long de la soirée, on joue à un grand quizz baroque.

Peu nombreux sont ceux qui ont identifié la cantate de Buxtehude, qui ouvre le concert et la Badinerie de la Deuxième suite orchestrale de Bach, entonnée par la flûte de Michel Brun, tourne vite en jazz vocal, histoire de montrer que Sebastien est bien le père du swing. La balade s'évade par l'orient et revient en Espagne par un poignant lamento et des villancicos, avant de rebondir sur la danse des Sauvages des Indes galantes de Rameau et du joyeux chœur à boire de Platée. Quelques brasses nous conduisent vers Albion avec le lamento de la mort de Didon, l'air du froid du King Arthur de Purcell et des chansons irlandaises. Les dissonances de l'Hiver des Quatre saisons de Vivaldi dérivent vers quelques madrigaux de Monteverdi, dont le sublime Zefiro torna efficacement accompagné à l'accordéon, avant de conclure sur le Printemps du prêtre roux, où les solistes chantent les sonnets du compositeur sur un habile arrangement de Christophe Geiller. Ce montage facétieux avec des transitions soignées, parfois surprenantes, obtient un triomphe absolu de la part du public.

On ne peut s'empêcher de retrouver cette même formation le dimanche après-midi à Saint-Pierre des Cuisines dans des œuvres concertantes, dirigées par les deux excellents violonistes Marie Rouquié et Gabriel Grosbard. C'est tout l'esprit du Collegium Musicum au Café Zimmermann de Leipzig avec le Concerto grosso en fa majeur de Locatelli et le Concerto pour deux violons et cordes en ré mineur BWV 1043 de Bach.

Final en Bach majeur

Comme de juste, le concert de clôture à la salle capitulaire du couvent des Jacobins affiche complet pour la Messe brève en sol mineur BWV 234, la préférée de Michel Brun, assortie de quelques surprises. Au sommet de cette rencontre de styles et influences croisées, deux ensembles de musique actuelle, parmi les plus imaginatifs, prêtaient leur voix à cette joyeuse conclusion. À deux guitares et une contrebasse, le jazz manouche de l'ensemble bisontin brode à sa façon rythmée à la pompe sur la célèbre aria de la Troisième suite en ré, tandis que à la clarinette et à l'accordéon et au chant se mesurent avec une grande maîtrise au redoutable Deposuit du Magnificat. Au lieu de la traditionnelle cantate, le chœur, l'orchestre et les solistes, la mezzo-soprano Cristelle Goufé, le ténor Guillaume François et la basse Mathieu Toulouse donnent une version chaleureuse de la Messe en sol. Cette « petite » messe parodique, longtemps considérée comme quantité négligeable dans l'œuvre du Cantor, retrouve ainsi tout son éclat sous la direction jubilatoire de Michel Brun, même si les quatre messes brèves sont aujourd'hui bien servies au disque.

Les rappels font parfois contresens en musique sacrée, mais la reprise du Kyrie fait exception avec la contribution enthousiasmante des musiciens de et Artichaut, démontrant la permanence et l'éternité du génie de Bach.

Crédits photographiques : © Monique Boutolleau et Alain Huc de Vaubert

(Visited 508 times, 1 visits today)