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Scarlatti 555 : la folle aventure du Festival de Radio France Occitanie Montpellier

L'idée vient de Marc Voinchet, directeur de France Musique et amoureux de la musique de Scarlatti. Il confie à Frédéric Haas, claveciniste, le soin de répartir l'intégrale des sonates de entre les mains de trente interprètes mobilisés pour le projet Scarlatti 555. En trente-cinq concerts investissant douze lieux différents (dont le Château d'Assas dans l'Hérault, où Scott Ross enregistra la première intégrale chez Erato) vont sonner sur le clavecin, du 14 au 23 juillet, les 555 sonates du maître italien.

Fils du grand Alessandro, (1685-1757), napolitain d'origine, est engagé en 1720 à Lisbonne au service de l'Infante d'Espagne Maria-Barbara. Il la suivra à Séville d'abord, durant quatre ans, puis à Madrid où Maria-Barbara devient reine d'Espagne. C'est pour elle qu'il écrit une bonne partie de ses sonates, avec une liberté de ton et un sens de la couleur qu'il puise certainement à la source de la terre ibérique. Redoutées des claviéristes pour leur difficulté inouïe, ces 555 Sonates surprennent par l'audace de leur écriture et leur insolente virtuosité. C'est la première fois que le Palais de justice de Perpignan accueille en ses murs une manifestation musicale. Micros et caméras y sont installés pour capter les trois concerts du jour, qui seront ensuite tous disponibles sur YouTube.

Le claveciniste d'origine américaine a choisi dix-sept sonates, le plus souvent groupées par deux, selon leurs tonalités homonymes : majeur/ mineur, sol majeur/sol mineur, do majeur/do mineur etc. Exceptée la première sonate K164, notée Andante moderato, les seize suivantes sont toutes rapides, Allegro, Vivo voire Allegrissimo, d'une virtuosité parfois transcendante. les joue sans pause ni applaudissement, dans une concentration maximale et une tenue de clavier irréprochable. On pense à son maître Gustav Leonhardt en écoutant le claveciniste, dont on apprécie la même fidélité au texte, l'énergie dans le jeu et une certaine gravité dans l'interprétation, qui ne nuit nullement à la brillance digitale et à la singularité de l'écriture du maître napolitain. n'utilise que le clavier inférieur et le seize pieds – virtuosité oblige – cherchant davantage l'homogénéité du toucher et une certaine jubilation sonore dans l'enchaînement de ces dix-sept sonates éblouissantes.

Quinze sonates sont à l'affiche du concert de , claveciniste et organiste spécialiste de la musique italienne, qui a enregistré l'intégrale de la musique pour clavier de Girolamo Frescobaldi. Sur le même instrument Jean Bascou de 2017, c'est la couleur qui est ici recherchée, avec des changements de claviers et de registrations apportés par l'interprète. Il a choisi, parmi les pièces majoritairement rapides de Scarlatti, trois sonates non dénuées de charme et de délicatesse. Face à la belle rigueur d'un Kenneth Weiss, l'interprète concède quant à lui davantage de liberté dans la conduite de la phrase, soulignant la théâtralité de l'écriture (l'« effet castagnettes » par exemple). Les sonates plus tardives inscrites à son récital, K539 et K540 notamment, développent des textures plus denses et des figures étonnantes, avec une audace qui n'est pas sans évoquer celle d'un Rameau.

Au Théâtre municipal en soirée, et sur un autre clavecin (Émile Jobin 1986), c'est le jeune , bardé de prix et de récompenses (il est nommé aux Victoires de la musique classique en 2017 dans la catégorie Révélation Soliste Instrumental) qui est sur le devant de la scène. Il joue lui-aussi quinze sonates, dont certaines par cœur, échelonnées de K18 à K555, soit la dernière Sonate du catalogue Kierkpatrick (claveciniste et musicologue américain). Comme ses collègues, les a regroupées par tonalités. On apprécie la digitalité brillante, la fluidité du jeu et la clarté de la polyphonie, chez un interprète qui souligne les nervures rythmiques, fait sonner les basses et favorise la cinétique des figures scarlattiennes (K141 en mineur) confinant à l'ivresse sonore. Sans pousser outre mesure la vitesse cependant, il laisse entendre, au sein de l'écriture, les « durezze » (dissonances) qu'y glisse le Napolitain. Les deux dernières Sonates K554 et K555 qui terminent également sa prestation, se ressemblent, par leur allure de danse populaire, même si l'avant-dernière s'aventure, en seconde partie, dans des régions chromatiques surprenantes. Les notes répétées de l'ultime K555 signent une certaine manière scarlattienne, que sert, comme un mois plus tôt à Paris, avec un jeu sensible et une merveilleuse aisance digitale.

Crédits photographiques : Kenneth Weiss © Pierre Antoine Devic

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