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Sublime Marie-Elisabeth Hecker dans les deux œuvres ultimes d’Elgar

Après un remarquable et très engagé album chambriste schubertien, paru il y a quelques mois, nous revient pour  son premier enregistrement concertant consacré à l'ultime opus 85 d', complété par une splendide version du pénultième quintette à clavier du maître british.

La pochette est sans équivoque, par cette pose extatique, passionnée et presque érotisée, Marie Louis Hecker ravive le souvenir de la très regrettée Jacqueline Du Pré, laquelle a gravé sans doute « la » version de référence de l'œuvre en compagnie de Sir John Barbirolli et du London Symphony Orchestra (Warner), voici maintenant plus d'un demi-siècle. Dans le texte d'introduction, sorte d'assez longue interview, la jeune violoncelliste saxonne y va d'un vibrant hommage à l'interprète britannique, laquelle a guidé jadis quelque peu son approche de l'œuvre par le truchement du disque. Mais il ne faut rien chercher d'épigonal dans cette nouvelle version : là où la soliste anglaise y allait d'un certain pathétisme dans une logique d'affrontement avec la masse orchestrale, et où le glorieux Sir John Barbirolli (présent comme violoncelliste… tuttiste dans l'orchestre lors de la création de l'œuvre) tempérait par moment l'enthousiasme juvénile de sa soliste en refrénant certains tempi, propose une vison chaleureuse et intense mais aussi peut-être plus fondue dans la continuité, d'une atmosphère plus élégiaque, inéluctable et automnale de ce chef-d'œuvre.

Dans cette approche engagée mais pudique, elle est magnifiquement secondée par le vétéran à la tête d'un orchestre symphonique d'Anvers (ancien orchestre philharmonique royal des Flandres devenu depuis 2017 ) en grande forme. Le jeu de la soliste n'appelle que des éloges tant par l'ampleur de sa sonorité que par la précision de son articulation (allegro molto placé en guise de scherzo) ou par sa virtuosité discrète mais ponctuellement plus extravertie (cadence d'introduction du final). Chef et orchestre s'accordent à la conception de sa soliste tantôt dans les tutti ravageurs (final) tantôt dans les dialogues solistes plus chambristes (deuxième thème de l'adagio moderato initial), avec le superbe dialogue de la soliste avec les vents. Le présent tandem rend à sa  façon la profonde force émotive de l'œuvre, sans tomber dans le piège de la surexposition douteuse (Gabetta-Venzago, RCA) ou de l'objectivation distante de l'allègement à tout prix (Queyras-Bĕlohlávek, HM) .

Mais la réussite absolue de ce splendide disque est sans conteste le plus rare Quintette pour piano opus 84, partition composée comme le présent concerto après le premier conflit mondial mais plus encore installée dans le souvenir des références passées. On songe à un Brahms parfois échevelé et tzigane dans le mouvement initial, à un jeune Fauré émigré de l'autre côté du Channel dans le lyrique adagio, ou aux principes cycliques des compositeurs franckistes dans le final, le tout revu sous l'œil critique et malicieux du compositeur anglais. Cette partition difficile à équilibrer pour les interprètes, tant par son éventail de nuances que par le foisonnement des détails motiviques ou harmoniques coulés dans d'amples formes post-romantiques, connaît ici son enregistrement de référence.

retrouve son pianiste de mari , lequel par la puissance symphonique de son jeu, dans le développement de l'allegro initial, comme dans le raffinement impalpable des nuances de l'adagio fait montre d'une palette infinie de nuances et d'une écoute attentive de ses partenaires. Le violon de et l'alto de sont galvanisés par le dynamisme de feu d'une des grands jours menant de son archet l'ensemble avec une autorité implacable. Les interprètes pulvérisent l'académisme latent de cette page par cette approche emportée, sincère et flamboyante et surclassent la pourtant très belle version de l'ensemble Nash  (Hyperion), plus classique de ton et moins colorée d'ambiance.

Entre ces deux pôles ultimes de l'inspiration elgarienne, composés coup sur coup, avant un silence créateur quasi définitif de quinze ans, la violoncelliste a eu la géniale intuition d'intercaler dans ce programme le nostalgique Sospiri, composé au début du premier confit mondial et donné dans sa version soliste : une profonde et pudique respiration entre la charge émotionnelle du concerto et l'architecture grandiose du quintette. Marie Elisabeth Hecker fait une fois de plus mouche, par une probité confondante et une sensibilité sans mièvrerie. Un maître-disque à consommer sans modération.

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