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200 Motels – The Suites fait redécouvrir la modernité de Zappa

Avec 200 Motels – The Suites, fresque opératique inspirée du vrai-faux « rockumentaire » créé par Zappa au début des années 70, le public de la Philharmonie, après celui de Strasbourg, se laisse emporter dans les délires de ce compositeur inclassable, reconnu par les amateurs de rock comme par le monde de la musique contemporaine.

à la direction, à la mise en scène et à la vidéo, maîtrisent avec brio la complexité et l'humour de cette œuvre parfois provocante, souvent drôle et riche de trouvailles musicales dans ses différents styles.

C'est avec une standing ovation – Franck Zappa aurait écrit « une érection du public »… – que se termine ce brillant spectacle, après un chœur final grandiloquent mais plein de vie, au message iconoclaste et provocateur, mais humaniste… C'est qu'on « zappe » d'un style à l'autre tout au long de cet opéra, au-delà des contradictions et du mélange des genres, quand Zappa nous emmène dans les fantasmes, puis dans les cauchemars psychédéliques du créateur.

Un pied dans la musique savante « contemporaine », l'autre dans le rock, voilà comment il « prend son pied » au sens propre, pourtant pas très propre selon ce que nous montre la mise en scène ! S'il est beaucoup question de sexe, de façon très prosaïque, l'adaptation du film réalisé par Zappa en 1971 est théâtralisée par avec intelligence, sans perdre pourtant l'humour et les côtés potache du compositeur. Ainsi, l'autodérision du propos, comme la parodie du show télévisé, renvoient la vulgarité vers ceux que Zappa dénonce, mais épargne son propre univers. Il va pourtant souvent loin dans la crudité et l'étalage de fantasmes oniriques insistants. Le formidable travail en vidéo live réalisé par , appuyé sur la virtuosité de ceux qui filment sur scène – y compris les chanteurs sous forme de « selfies » – comme de ceux qui œuvrent en régie, permet de jouer sur le détail et les expressions des visages, souvent en très gros plan. Les chanteurs solistes, époustouflants, y donnent de la profondeur et de la vie à leurs personnages, au-delà de la caricature qu'ils incarnent.

Œuvre « datée » ? Créée dans le début de ces années 70 qui voient se diffuser la libération sexuelle et la contestation de la société de consommation, relayées par le monde de la pop et du rock, elle paraît pourtant très actuelle : autofiction, questionnements sur les limites d'une sexualité libérée des tabous de l'époque précédente, mélange des genres musicaux. On devine d'ailleurs, dans le public, des « anciens jeunes », ex-rockeurs dans les années 70, comme on y croise des amateurs de musique savante d'aujourd'hui – Boulez avait d'ailleurs dirigé du Zappa avec l'EIC. Cette diversité reflète les tendances actuelles de la programmation musicale. Zappa se révèle donc bien en phase avec notre époque.

Le plateau musical est à ce titre visuellement révélateur : au premier plan, l', avec plusieurs pianistes et un intéressant trio de guitares, qui donne quelques beaux moments, notamment avec la harpe et les violoncelles. À droite derrière l'orchestre, les HeadShakers, groupe rock à l'impeccable synchronisation avec les chanteurs comme avec l'orchestre. Au centre et à gauche le « plateau télé » où évoluent les solistes, remarquables aussi dans leurs fréquents passages parlés, le plus souvent sur fond musical, et les chanteurs de l'excellent , dont les costumes colorés évoquent plaisamment l'esthétique pop. Derrière, occupant tout le fond de la scène, les et leur riche palette de timbres. Au-dessus, un écran à la forme suggestive qui redouble l'action en la recentrant, accentuant l'effet « montage » de la mise en scène, au sens cinématographique. Et pourtant, de cet ensemble hétéroclite et d'une partition qui passe sans pause des styles de Varèse ou Stravinsky revus par Zappa, à la guitare électrique ou au country pour show télé, une grande homogénéité se dégage. Souvent contrôlé de près par l'acteur incarnant Franck, assis derrière lui sur son fauteuil de metteur en scène, reste imperturbable. Mais, pour rester dans le ton de Zappa, le chef « en a dans la baguette » : il assure la dynamique, préserve les changements d'atmosphère, pilote la complexité rythmique et articule toutes ces composantes, comme si l'ambiance déjantée qui domine sur scène évoluait en toute liberté.

Crédits photographiques : © Philippe Stirnweiss

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