- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Poppée, Néron et les autres aux Journées baroques du Staatsoper Berlin

Tant pis pour une direction un peu pesante et une mise en scène qui se perd en cours de route : tous les honneurs vont aux deux protagonistes.

Le baroque a une place de longue date dans la programmation du Staatsoper de Berlin : ce fut longtemps René Jacobs qui eut la tâche d'occuper la salle pendant que la Staatskapelle était en tournée au loin ; désormais d'autres lui ont succédé, et pour la première année, l'intermède baroque s'est transformé en un véritable festival réunissant pendant deux semaines opéras et concerts.

La production du Couronnement de Poppée par Eva-Maria Höckmayr l'année passée en fait partie. Le décor unique, un vaste panneau couvrant le fond et le sol de la scène, est d'une brillante couleur dorée au début du spectacle. Dans des costumes néo-baroques, tous les personnages sont en scène : la première idée de la metteuse en scène est d'opposer la stricte rigueur de la cour impériale à la puissance érotique de Poppée. La mise en scène montre avec brio comment Poppée, en pleine conscience du pouvoir que cela lui donne, bouleverse l'ordre établi et instaure dans ce petit monde une loi nouvelle. L'intimité n'est ici qu'une illusion : tout se sait, chacun écoute et regarde, et Poppée en joue à merveille.

, succédant pour cette reprise à Anna Prohaska, offre un jeu d'une liberté terriblement séduisante, les membres déliés, une éloquence du corps qui n'a d'égale que celle de son chant. Ici, les mots et les notes ne font qu'un : c'est l'idéal du chant monteverdien. Le couple qu'elle forme avec est le grand bonheur de la soirée : venu remplacer Max Emmanuel Cenčić, il séduit par la largeur du timbre, sa solidité à toute épreuve, sa capacité à colorer et à varier sans sacrifier la musicalité à l'expression. Tout le contraire en somme de , dont le timbre au contraire s'évanouit à la moindre tentative d'expression : dans le rôle d'Ottone, c'est un contresens. Le reste de la distribution est heureusement plus satisfaisant, à commencer par une délicate Octavie (, pilier de la troupe du Staatsoper depuis un quart de siècle) et le Sénèque expérimenté de Franz-Joseph Selig et en continuant par les deux belles nourrices, et surtout la légende berlinoise .

Il est regrettable que la partition se trouve altérée à de nombreux endroits. La coupure des interventions divines est symptomatique : là où l'œuvre paraît trop étrangère, on préfère la « rectifier » plutôt que d'essayer d'en comprendre la logique. Quant au fait de partager les rôles de l'Amour et de la Fortune entre une soliste adulte et un enfant, c'est une absurdité musicale qui ne se justifie pas par le faible parti scénique qu'Eva-Maria Höckmayr tire de cette dualité. La situation de départ une fois posée ne suffit pas à maintenir l'intérêt tout au long de la soirée, et si elle multiplie les signes adventices pour occuper le terrain, elle ne parvient jamais vraiment à développer d'autres thèmes pour renouveler le discours. Le décor prend des teintes diverses, argentées ou plus sombres, au fil de l'histoire, mais le spectacle n'avance pas. Dans la fosse, on peut faire crédit à de faire avancer l'histoire avec une réelle efficacité, mais le choix d'un son presque symphonique, avec plus de vingt-cinq musiciens en fosse, n'est guère convaincant dans une partition qui appelle plus de liberté et de variété sonore.

Crédits photographiques : © Bernd Uhlig (2017)

(Visited 763 times, 1 visits today)